Une autre histoire de cuillère.

English version : https://nathjy.travel.blog/2020/06/27/another-spoon-story/

Le 11 mai 2020, la France entrait dans la première phase du déconfinement. Il nous était enfin possible de nous éloigner de plus d’un km de distance de notre domicile. Nous en avons tout de suite profité pour redécouvrir Paris. Notre ville s’est révélée être devenue différente, tout en restant la même. La même, car rues, maisons, immeubles, jardins et monuments sont restés dans le même état, tous les travaux étant arrêtés. Différente car calme et silencieuse : presque plus de voitures ni de moto. La ville rendue aux êtres humains, où il est à nouveau possible de laisser les enfants jouer dehors, où il est à nouveau possible de traverser les rues presque sans regarder. La ville rendue aux oiseaux qu’on entend chanter à quelque endroit que l’on soit.

Dix jours plus tard, à l’Ascension, profitant du soleil printanier et de la douceur du temps, masque sur le nez et la bouche, nous voici parti pour une longue marche.  D’abord, nous  sommes descendus jusqu’à la Seine en empruntant le boulevard St Michel. Nous avons alors cheminé au long du port de Montebello, puis du port de la Tournelle, jusqu’au pont de Sully. Cela nous a permis de constater que, sans surprise, le chantier de Notre Dame était aussi resté à l’arrêt.

Ah, nous avons croisé Daphné aussi ! Puis nous sommes remontés par la rue des Fossés St Bernard, puis la rue du Cardinal Lemoine et enfin nous avons pris la rue Mouffetard, avec l’intention d’acheter un repas à emporter, l’heure de dîner étant arrivé, nos estomacs criant famine. Et, juste après la place de la Contrescarpe – place désormais tristement célèbre depuis une distribution gratuite de marrons pas vraiment glacés – nous avons trouvé notre bonheur : un restaurant indien, le Singh.

La devanture est d’un vert chatoyant typiquement indien. La vitrine comporte toute sorte d’écriteaux précisant que le restaurant propose du Vegan et du bio, nous voici donc comblés.

Il n’y a plus qu’à passer commande, ce qui est vite fait, les chalands restant encore rares à cette époque du déconfinement. Un lassi à la mangue, un Baigan Bharta pour Nathalie, un lassi à la banane et un Byriani aux légumes pour moi. Le cuisinier s’active immédiatement, ranimant ses feux, soulevant casseroles et couvercles, nous replongeant ainsi dans les odeurs épicées de nos voyages indiens. Le serveur, lui, file au fond du restaurant pour préparer nos lassis. Tout est rapidement prêt, mais nous laisse quand même le temps d’engager la conversation. Nous apprenons alors que les deux hommes sont frères et qu’ils viennent du Penjab. Les lassis étant déjà servis, les plats arrivent à leur tour, dans un tourbillon de senteurs, et, comme il se doit, dans un sac en papier recyclable. Nous nous assurons qu’il y a au moins une cuillère, car nous comptons déjeuner dès que nous aurons trouvé un petit coin pour nous asseoir. Pas de couverts. Immédiatement le serveur va chercher ce qu’il faut alors que nous lui disons que, peut-être, nous devrions plutôt manger avec les doigts, ainsi que nous avions vu que faisaient tous les indiens du Radjastan et la plupart de ceux du Kérala. Il y a même des auteurs qui ont écrit qu’il était bon de manger avec les doigts, pour toutes sortes de raisons qui tiennent au rapport que nous entretenons ainsi avec la nourriture. De plus, comme ça, pas de risque de se brûler la bouche ! Nous nous rappelons aussi la parole définitive d’une indienne : « vous êtes bizarres les occidentaux : vous ne pouvez pas toucher avec les doigts ce que vous mettez dans votre bouche ! » Le serveur, qui n’a perdu aucune de nos paroles, revient alors avec les couverts et nous fait part de son point de vue d’indien du Penjab : « dans notre famille, nous étions 17, et dans la maison il n’y avait qu’une seule et unique cuillère. A chaque repas, c’était la bagarre car tout le monde la voulait ! »

Par Jean-Yves

Ps : cuillère ou pas, le Baigan Bharta et le Byriani étaient délicieux !

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  1. Avatar de Amal Amal dit :

    Ha les célèbres marrons chauds de la Contrescarpe… Mdrrr
    En Algérie quand un plat est succulent on dit « tu en mangerais tes doigts ».
    Merci JY de repositionner de façon si délicate l’Occident.

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