Umberto, il Mago

English version : https://nathjy.travel.blog/2020/09/13/umberto-il-mago-english-version/

Versione italiana : https://nathjy.travel.blog/2020/08/29/umberto-il-mago-versione-italiana/

A l’ « Orto delle fate », merveilleux jardin écologique dédié à la production de légumes bio, et sur lequel veillent deux fées, Giulia et Renata, on y trouve aussi une cuisine magique, « la Cucina di Merlino ».

Malgré le nom de ce lieu, le magicien qui y œuvre ne s’appelle pas Merlin, mais Umberto. Moins célèbre, ce dernier n’en n’est pas moins d’un immense talent, faisant l’admiration des petits comme des grands. Environ tous les deux jours, les hôtes du jardin des fées – car ce jardin comprend également quelques petits nids d’amour destinés à l’accueil des vacanciers, le nôtre s’appelle « Bisentina », et les autres… mais comme cet article n’a pas vocation à être un guide touristique, j’arrête là une description qui risquerait de devenir trop touristique et si cela vous intéresse, je vous renvoie sur le site Internet des fées : ortodellefate.it – les hôtes du jardins des fées, disais-je donc, sont conviés à un diner concocté par la magistrale baguette magique d’Umberto.

Ce diner, uniquement sur réservation, commence à 20h30 et pourra être une soirée rêveuse pour célibataire, ou bien amoureuse pour couple ou heureuse pour famille et/ou groupe d’amis de 3, 6 ou 12 personnes, car l’ambiance du lieu et la chaleur du climat, associés à la nuit tombante ainsi qu’à l’accueil attentionné et chaleureux, le rend propice à tous ceux qui veulent partager quelque chose.

Pour nous ce sera… soirée en amoureux !

Le menu n’est pas une surprise, car la fée Giulia vous l’a révélé la veille en prenant votre réservation. Curieux, me direz-vous, car généralement les magiciens aiment faire planer le mystère jusqu’au dénouement. Mais ici, ce n’est pas le cas. A vrai dire cette pratique est plutôt le fait du prestidigitateur, qui vous surprend et vous étonne. Un magicien, c’est bien plus sérieux : ça vous prend la réalité, ça vous la transforme, ça vous l’enchante, ça vous transporte dans un pays merveilleux, qu’il soit d’Alice, de Shéhérazade, d’Harry Potter, de Mary Poppins ou encore de Peter Pan. Merveilleux, donc imaginaire me rétorquerez-vous, et donc n’existant pas. Erreur fatale ! Imaginaire signifie qu’il existe tellement qu’il est seul à vraiment pouvoir donner sens et goût à notre vie, et donc qu’il n’est possible d’en jouir que très brièvement, à toute petite dose. Sinon ce serait la mort immédiate tant ce qui nous entoure habituellement nous paraîtrait fade et sans intérêt. Le vrai magicien est celui qui nous montre que notre monde est merveilleux quand on sait bien le regarder, le sentir, le ressentir, le humer, le goûter et finalement s’en nourrir.

Umberto est donc un vrai magicien, et voici comment il opère. 1ère formule magique : « Fromaggi con nostre marmellate ».

Soit, trois bons morceaux de fromages italiens, bien affinés, avec de la confiture maison. La première est au piment. Sa couleur rouge orangée nous invite à la visiter en premier. Un petit bout de fromage, une noisette de cette confiture et voilà nos papilles gentiment titillées d’abord, puis pleinement réveillées afin de pouvoir dénicher la moindre des saveurs cachées dans ce fromage. Quel fromage était-ce, me demanderez-vous ? Je ne sais pas, et on s’en fiche : il suffit qu’Umberto le sache, à nous de nous laisser entraîner par sa magie, et nous voici arrivés dans un pays magique, éblouis et satisfaits, pleinement comblés mais les sens en plein éveil, affutés pour une autre expérience, prêts à vivre quelque chose d’encore plus fort… alors franchement, singer un guide culinaire ne sert à rien. Les avis définitifs et les informations pointilleuses que propose ce genre de guide sont des antidotes à la magie comme les magazines féminins le sont à l’amour. On croit savoir tout ce qu’il faut, et surtout ce qui serait le meilleur – grâce aux étoiles – et on passe à côté de l’essentiel, bien loin des étoiles.

Donc je ne ferais pas de descriptif « michelinesque », car ici nos sens et notre confiance dans le magicien suffisent à visiter les étoiles. Donc trois fromages italiens différents et maintenant une confiture aux oignons, dont la couleur bistre pour le coup ne fait pas l’attrait. C’est sans doute pour cela qu’on y vient en second. Et là, c’est place au sucré et à l’arôme puissant de l’oignon pour un enivrement instantané de tous nos sens, comme si le temps devenait matière, tout à la fois onctueuse et parfumée, familière et complètement nouvelle. Enivrement ai-je dit ? Oui, enivré au sens où le cerveau égare ses repères sans s’en apercevoir, augmente ses capacités à ressentir, accélère ses pouvoirs de perception et d’analyse, tout en ralentissant le temps.

Et là – j’imagine – la question et le reproche qui viennent à votre esprit : « Le vin ? Tu ne nous as pas encore parlé du vin ! » C’est vrai, et pour cause, de tout le repas je n’en n’ai pas bu une goutte. Depuis quelques temps, soit que ce soit l’aboutissement d’un chemin chaotique personnel, soit que ce soit une conséquence de mes nouvelles occupations professionnelles, je n’en bois plus. Ni vin, ni bière, ni spiritueux… mais cela n’empêche pas la magie de fonctionner. L’alcool non plus d’ailleurs, car Umberto n’est pas contre, et il en propose, de bons, à ceux qui en désirent. Plus encore, je crois bien avoir entrevu le magicien, par la porte de la cuisine, en train de lever le coude.

Probablement se donnait-il du cœur à l’ouvrage, à moins qu’il n’ait vérifié que ce vin-là était le bon, ou tout simplement avait-il soif et cela lui faisait plaisir de boire un coup. Bref, il n’est pas contre, et le vin peut contribuer à sa magie, mais il n’est pas indispensable car j’ai bien été transporté au pays des mille et une nuit ce soir-là, et sans un gramme d’éthanol. Je ne sais pas si comme dit le vieux message ministériel de prévention, « Sans alcool la fête est plus folle », mais en tout cas, mon magicien Umberto n’a pas raté son coup de baguette : j’ai pris mon pied… et ce n’était que les « Antipasti ». Antipasti finis, place aux Primi, mais tranquillement. Car pour que la magie fonctionne, il faut donner un temps de repos aux papilles entre les coups de baguettes magiques. De plus, Umberto est seul en cuisine, certes avec l’aide des fées Renata et Giulia, mais qui par ailleurs assurent aussi tout le service.

Ah les fées du jardin, c’est quelque chose ! La fée Renata, il se dit qu’elle a mille ans, mais elle en fait à peine 50. Infatiguablement, elle vole de tâche en tâche, du soir au matin et du matin au soir, sourire aux lèvres, avec une telle grâce que la regarder travailler repose. C’est vrai que les fées, jamais fatiguées, ne dorment pas.

La fée Giulia, c’est un concentré d’énergie. Hop la voilà, hop c’est fait, hop la revoici, hop un éclat de rire et hop voici tout le monde régénéré. Ceci étant, Umberto est seul en cuisine pour Antipasti, Primi, Secondi, Contorni et Dolci, avec deux choix à chaque fois (sauf pour les Dolci), frais et cuisinés sur place, pour 15 convives ce soir-là. Il peut toutefois aller jusqu’à 25 convives. Chapeau pointu le magicien ! C’est du grand art, et avec le sourire, les connaisseurs apprécieront. « Penne ‘ORAPASTA’ con calamarata alla Merlino » fut la deuxième formule magique. Pâtes aux céréales anciennes, faites maison depuis le semis jusqu’à la cuisson – Nathalie doit vous en parler dans un autre article, je n’en dis donc pas plus – avec des calamars et une sauce magique qui m’ont immédiatement plongé mille lieux sous la mer, au pays de la petite sirène et de Jack Sparrow.

Toutes papilles en avant, nous voici sur le pont face aux embruns parfumés et rafraichissants, puis frôlant algues et coraux au milieu des poissons papillons, et remontant à la surface pour goûter au vent du large chaud, humide et iodé. Et, remarque en passant, que ce soit les pennes ou les calamars : cuisson parfaite. Ce Umberto, quelle maitrise ! Un temps passe, puis, précédée d’un rire sonore et entrainant, voici la fée Giulia qui apparait et, en un tour de main, emporte les assiettes vides et débarrassées de la moindre miette, puis surgit à nouveau et voici les Secondi. « Filetto di coregone allo zafferano ».

Le coregone, c’est le poisson du lac de Bolsena, à cent mètres d’où nous sommes. Pêché ce matin, il n’y a pas plus frais, à moins de venir avec sa canne à pêche. Un coup d’œil vers le lac dont on voit maintenant les reflets argentés, car la nuit est tombée, et un petit merci pour le cadeau qu’il nous a fait, puis retour vers notre assiette où nous attend le cadeau transformé par la baguette d’Umberto.

Le coregone est divinement bien cuit, et sans une arrête. Décidément, en matière de cuisson, Umberto est un magicien de première classe ! Paré de safran pour venir à nous, ce plat est devenu rencontre du Latium et de la vallée de Tafraout. Lac ceint de collines et vallée du Moyen Atlas. Dolce vita et Inch Allah. Deux pays où l’on sait encore prendre le temps de vivre. Deux contrées où on ne rigole pas avec la nourriture et où jamais nous n’avons mal mangé. Ce qui n’est pas le cas de bien d’autres pays, situés bien plus au nord, où l’on se targue d’être « bien plus sérieux » que ces pays du sud. Ce sérieux sous-entend « financièrement », mais c’est au prix de nos papilles et de nos estomacs. Jamais je ne vous ferai la description de ce qu’on nous y fait manger parfois, la visite des décharges, ce n’est pas mon truc. Cela étant, je ne conteste pas qu’on y vive très longtemps… mais c’est au prix de toute expérience de magie. « Patate fritte », voici la formule magique qui annonce les Contorni.

Pommes de terre bio cultivées dans le jardin des fées, coup de baguette d’Umberto, et voici des frites parfaitement croustillantes, sans être cramées ni noires, mais parfaitement craquantes autour d’un cœur parfaitement cuit et moelleux, fondant à souhait. L’huile de cuisson, parfaite, ajoute une touche de fruité. Pas besoin de sel, juste d’un pouce et d’un index pour les manger, car les vraies frites, excusez ma belgitude, se mangent avec les doigts. Il ne manque que des cornets fait de vieux journaux et ce serait plus que parfait, aussi ma belgitude s’incline, et le français que je suis ne peut que constater une fois de plus : le vrai pays de la cuisine, c’est l’Italie ! Ici, j’entends de nombreuses voix françaises qui s’élèvent : « l’Italie ! Mais que fais-tu de nos multiples restaurants étoilés et de nos nombreux chefs qui le sont tout autant quand ils ne sont pas de surcroit meilleurs ouvriers de France ? ». Réponse : rien. Je n’ai pas de goût pour les choses disproportionnées et déraisonnables. Seul les gens qui ont perdu la valeur des choses, pour un instant ou en permanence, vont dans ces endroits. Ici, en Italie, dans n’importe quel restaurant, dans n’importe quelle famille ou même sur n’importe quelle aire d’autoroute, vous mangez bien et à un prix juste.

C’est là qu’Umberto manifeste qu’il est incontestablement un grand magicien. Car tout ce que je viens de vous décrire, c’est 25 euros – hors boisson bien sûr, faut pas pousser. Une telle magie, une telle qualité, un tel plaisir, c’est du vol, mais dans l’autre sens ! Les français que nous sommes sont tout étonnés, les italiens autour semblent juste trouver ça normal. Oui, me diront d’autres, mais quand même, un grand restaurant, c’est quand même très bon, et à une grande occasion, on peut se l’offrir. Certes, mais ce n’est pas avec les « grandes occasions » que ces entreprises vivent, mais grâce à des gens qui ont perdu toute une gamme de sensations et d’émotions, car elles sont liées au cœur, et chez eux, l’estomac a pris toute la place, à moins que ce ne soit le portefeuille… mais je m’arrête là, j’ai trop honte pour l’humanité quand je pense que de tels gens existent.

Heureusement voici la fée Giulia qui d’un tour de main fait le vide sur la table et s’en va en tourbillonnant, afin que la fée Renata, surgie d’un coup sans que nous ne l’ayons vue arriver, puisse déposer les Dolci. « Gelato con fichi ». Formule banale, me direz-vous, mais pourtant tout aussi efficace que les précédentes. Une glace froide à point et divinement crémeuse… le magicien Umberto réussit à nous faire oublier le signe « UHT » et nous emporte au début de notre vie où tout était lait et douceur. Sans doute nous serions nous endormi, après un petit « rôt », s’il n’avait pas ajouté une figue délicatement pelée, dont le blanc crémeux extérieur nous a sorti de la glace pour nous emporter vers l’intérieur. Un rouge framboise, intensément parfumé et moelleusement sucré, nous emportant à son tour vers d’autres souvenirs bien plus tardifs et que la bienséance m’interdit de décrire plus avant. Avec ça, nous avons mangé comme quatre, mais, magie d’Umberto, la digestion fut légère, et tout au long d’une douce nuit nous avons dormi comme des loirs. Le surlendemain, la magie d’Umberto nous a de nouveau emportés… « Bruschettine assortite », « Flan di riso e gamberi », « Filetto di goregone alle erbe », « Faggiolini all’agro », « Gelato frutti di bosco »…

Par Jean-Yves

2 commentaires Ajouter un commentaire

  1. Avatar de amal amal dit :

    oh les amoureux !!
    quel régal !!!

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  2. Avatar de Leycuras Leycuras dit :

    Humm cela nous met bien l eau à la bouche !!!quel régal de te lire Nathalie !et pour toi quel régal pour tes papilles !!!

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