English version : https://nathjy.travel.blog/2020/10/11/summer-heart/
Il y a tout juste deux mois, c’était le plein cœur de l’été. Il s’agit de cette période entre juillet et août, où juin est suffisamment loin pour s’être effacé de nos esprits, et où septembre est encore trop loin pour être une préoccupation. C’est un entre-deux où le temps se dilate et où l’on se prend à rêver qu’il va peut-être s’immobiliser là, tranquillement, doucement, paresseusement. Il serait alors un genre d’éternel présent, fait de températures agréables, de longues balades en soirée, de travail en ambiance « été » sur un rythme enfin humain, de temps passé aux terrasses des cafés, de vêtements légers… un temps magique ! Cette année le cœur d’été a pris une consistance particulière. Ce fut certainement du fait de Mlle Covid-19, cette vieille fille acariâtre venue d’on ne sait où. Semblant inoffensive de prime abord, elle s’est finalement révélée assez dangereuse, surtout si l’on n’y prend pas garde. Avec son fiel, ses lubies, ses traitrises, ses faux-semblants et finalement sa profonde mauvaiseté, elle a fait fuir les touristes et retenu les parisiens. Les parisiens sont devenus « touristes-chez-eux », et les vrais touristes, très rares. Tout cela a donné à ce cœur d’été un caractère encore plus immobile et intemporel. Ce temps est resté magique, mais avec un caractère étrange.

Un de ces dimanches-là fut alors pour nous l’occasion de sortir le tandem. Vous ne reconnaissez pas le paysage parisien, c’est normal, la photo est de 2016, lors de vacances au bord du lac de Bolsena en Italie : je voulais vous montrer le tandem et je n’avais pas d’autre photo. Et nous sommes partis en ballade, direction les Buttes-Chaumont. Pourquoi les Buttes-Chaumont ? Nathalie avait lu – je ne me souviens plus où – que, pas loin, juste derrière, vers le haut, il y a quelques rues fleuries qui méritent le détour, comme les Buttes elles-mêmes d’ailleurs. Alors en route, tout en prenant le temps de quelques arrêts pour quelques photos, au grès de ce qui attire l’œil et offre un peu de cette magie qui fait la particularité de ce plein cœur d’été.

Trompe l’œil. Volontaire ou pas ? Mystère ! Mais quelle idée curieuse de garder une vieille façade de pierre et de construire un immeuble de verre tout contre… Est-ce pour faire pénétrer les nuages à l’intérieur ?

Photographe capturée dans sa propre photo, grâce au reflet d’une vitre. Mère tout sourire aux casseroles. Yeux tout ronds de deux enfants probablement, surpris par cette curieuse invitée, qui photographie le moment où une bonne pitance se précise.

Le canal Saint Martin, à l’atmosphère doublement particulière qui nous rappelle le célébrissime film « Hôtel du Nord » que tant connaissent sans jamais l’avoir vu – ce qui est mon cas – et qui nous renvoie aussi à l’époque où Paris était une ville industrieuse sillonnée de péniches chargées de marchandises à destination de toutes sortes d’usines, d’ateliers ou de magasins. Les Enfants du Canal aussi, évocation d’une époque où l’on n’avait pas encore renoncé à éliminer la misère.

Il suffit de si peu de chose pour mettre un peu de vie, de couleur et ainsi rendre la pollution un peu moins insupportable. En plus d’être jolie, la plante reste toujours propre au contraire des volets, des murs, des peintures. Elle attire l’œil, et transforme un coin moche en un tableau qui pourrait s’intituler « tout n’est pas perdu ».

Petit coin de verdure, fermé par une grille tout droit sortie du pays merveilleux d’Alice. Mais les multiples affiches qui y sont accrochées témoignent d’une intense activité durant le temps scolaire. Sans doute doit-il lui aussi se reposer, nous donnant malgré tout un petit air de liberté, voire de folie, sous les yeux vigilants des austères immeubles de briques des années 60.

Nous voici arrivé au Parc. « Avec près de 25 hectares, le parc des Buttes-Chaumont est l’un des plus grands espaces verts de Paris. Inauguré en 1867, pendant les dernières années du règne de Napoléon III, il s’agit d’une réalisation de l’ingénieur Adolphe Alphand » nous apprend Wikipédia. Au pied se situait le gibet de Monfaucon, lieu des exécutions de la justice royale du Moyen Age jusqu’à la fin du 18ème siècle, puis carrière de pierre, puis décharge des abattoirs de Paris et enfin jardin magique qui correspond bien à ce cœur d’été si particulier, puisque ce « jardin à l’anglaise imite un paysage de montagne : rochers, falaises, torrents, cascades, grotte, alpages, belvédères » nous apprend encore Wikipédia. Bon, la photo nous offre une vue de la pointe sud du parc… vraiment pas folichonne, il faut être honnête ! Mais les « touristes-chez-eux » semblent malgré tout y trouver détente et farniente.

Nous reprenons notre marche en suivant un sentier qui monte au milieu des arbres et des taillis, puis soudain les arbres se déchirent, et nous offrent enfin de voir plus large que les quelques immeubles du premier plan. C’est un panorama plein nord, avec au loin d’anciens grands moulins. Plus près, à leur droite, la Cité de la musique. Beaucoup plus au loin, la forêt de Montmorency et d’autres hauteurs dissimulant tout un réseau de vieux forts qui protégeaient Paris des invasions jusqu’à la fin du 19ème siècle.

Le photographe zoome un coup, et, un peu de travers – sans doute commence-t-il à ressentir l’ivresse propre à ce parc et à ce coeur d’été – apparaît le temple de la Sybille comme en suspension dans les arbres, entouré d’une foule de promeneurs, d’admirateurs, voir de dévots à la recherche de leur avenir…

Un peu plus loin, en regardant en arrière, travers les feuillages, et au ras des immeubles, apparaît la Grande Dame. Serait-elle en manque de touriste ? Nourrie chaque année de plusieurs millions de visiteurs étrangers, la voici en sevrage, et sans doute boudée par les « touristes-chez-eux ». Sans doute ces derniers ne supportent pas de la voir maintenant encagée de verre. Les cages nuisent aux rêves et ôtent toute magie à ce temps si particulier, synonyme de liberté retrouvée. Ou bien la Grande Dame est tout simplement jalouse de ne plus être le centre de toutes les attentions. Alors, elle scrute, de-ci et de-là, par dessus les immeubles, à la recherche d’un regard, d’une attention.

Chemin faisant, dans une trouée plein Est, apparaît le Sacré-Cœur. Il semble avoir perdu son caractère religieux, et être passé en mode Neuschwanstein. Symbole honni d’une répression sanglante pour les uns, ex-voto d’action de grâce pour l’ordre et la paix enfin retrouvée pour les autres, le Sacré-Cœur semble tout faire pour ressembler à un château romantique. Probablement il préfèrerait être l’œuvre d’un prince fou, et faire rêver, plutôt que d’être le signe d’une blessure à jamais sanglante qui divisera pour l’éternité.

Nous continuons de monter, et, jaillissant des arbres et s’élançant vers d’autres arbres, un pont suspendu. Pour le passage commode des « touristes-chez-eux » ? Non, mais pour nous faire comprendre physiquement que nous sommes dans le cœur d’été, cet un entre-deux, comme suspendu dans le temps, et libres comme les oiseaux ou les écureuils.

Nous redescendons maintenant, et le détour d’un virage, nous offre une bonne vue de « touristes-chez-eux » sur l’herbe assoiffée du cœur d’été. Notez le strict respect de la distanciation physique. Et l’on dit que les parisiens sont des gaulois rebelles ! Bon, d’accord, c’est toujours comme ça dans les parcs parisiens. Les familles de « déjeuneurs sur l’herbe », comme les molécules de gaz, se répartissent et occupent toujours tout l’espace disponible, que Mlle Covid soit là ou pas.


Sur l’herbe aussi, un autre genre de « touristes-chez-eux ». Ces oiseaux semblent tout à fait à l’aise au milieu des « déjeuneurs ». C’est sans doute depuis qu’ils ont appris que cette fois, ils n’y sont pour rien dans la transmission de cette « grippette ».



Petit détour au pied du temple de la Sybille puis nous arrivons tout en haut du parc et nous nous demandons que penser de ce ravissant et minuscule temple. Peut être que, dans la Grèce antique, les Sybilles étaient des femmes oracles qui prédisaient l’avenir… et que « sybillin » signifie « paroles obscures, énigmatiques ». Sans doute l’avenir se doit d’être énigmatique, sinon ce serait terriblement ennuyeux de le connaître : savoir parfaitement de quoi sera fait demain, c’est la fin des surprises et des émerveillements ! Mais ce qui est le plus énigmatique, c’est que sur Internet, on trouve Sybilles et Sibylles et qu’on ne sait pas à qui se fier pour mettre le « y » au bon endroit !

Toujours en haut du parc, en tournant notre regard vers le Nord, un alignement de sentinelles de béton. C’est à leur ombre sérieuse que se situent la rue Mouzaïa et ses ruelles en affluent, dissimulées sous les arbres et qui attendent notre visite.




Voici quelques noms de ces fameuses ruelles.








Et voici les ruelles typiques de ce quartier. Remarquez leur étroitesse, une grosse voiture aurait bien du mal à y passer, elles sont donc réservées aux piétons, aux poussettes et aux cyclistes. Parfois la végétation les transforment en tunnel de verdure. Beaucoup de maisonnettes à taille humaine, serrées les unes contre les autres, chacune avec son petit jardin débordant d’arbustes, de bambous, de fleurs… Le tout forme un petit coin de nature, épargné du béton, comme oublié en plein Paris. Parfait dépaysement pour les « touristes-chez-eux » du 14ème arrondissement que nous sommes devenus.



Et soudain, surprise ! vers le bas du quartier, voici que trois rues bien particulières se rejoignent. Trois petites rues oubliées dans un coin de la capitale. Trois notions capitales oubliées dans le pays… ou seulement par ses élites ? Trois mots magiques qui ne sont que des rêves ? Trois rêves magiques qui doivent devenir réalité ? Ou qui doivent sans cesse transformer la réalité pour qu’elle soit vivable et accessible à tous !

La tête pleine de rêves de liberté, d’égalité et de fraternité, nous voici de retour dans le parc qui nous dévoile le temple de la Sibylle, mais d’en bas cette fois.






Chemin faisant nous admirons quelques massifs de fleurs courageuses, debout dans la chaleur, et dont les couleurs évoquent nos amis indiens, et ce qu’ils nous ont fait découvrir de la fraternité.




Délicates et dans les tons roses, les fières fleurs de ces parterres nous évoquent cette fois-ci les anglais et la liberté qu’ils ont su si bien défendre au cours du siècle précédent.

Et à la sortie du parc, c’est la maison de la fondation ophtalmologique qui nous rappelle que nous sommes tous égaux devant l’heure… et là, c’est pour nous celle de rentrer.

Ouf, bien attaché, le tandem est toujours là, en sécurité. Autre vaste débat : la sécurité est-elle la condition ou la conséquence de la liberté-égalité-fraternité ? Je répondrais que… grâce à elle nous n’avons pas eu à rentrer à pied ! Mais, à choisir, nous aurions préférer rentrer à pied si le cyclisme devait être au prix d’une liberté plus fondamentale… Aucun doute, il nous met le cerveau en ébullition, le cœur d’été !
Par Jean-Yves