Rencontres improbables

English version : https://nathjy.travel.blog/2020/07/20/unlikely-encounters/

Il est des rencontres fortuites, étonnantes et finalement improbables, qui viennent illuminer votre journée et vous font voir le monde sous un angle différent. Qui pourrait imaginer que le simple besoin de changer des rideaux se transforme en une belle rencontre d’après-midi ?  C’est pourtant ainsi que, par un après-midi quelque peu pluvieux de ce mois de juin, nous voici en train de sillonner les allées du Bazar de l’Hôtel de Ville, situé à deux pas de l’Hôtel de Ville, comme son nom l’indique, à la recherche du double-rideau idéal, qui serait à la fois esthétique, occultant et isolant. Bref, il s’agit là d’une prouesse impensable dans cette société de consommation. Ce produit n’existe pas, bien entendu et, il vous faut perdre des heures à comparer les étiquettes pour voir si celui-ci n’est finalement pas mieux que celui-là…Devant nos allures de touristes complètement égarés au beau milieu des doubles-rideaux, voilà que surgit Kim. Elle est vendeuse au BHV et les rideaux, c’est son rayon. Super motivée, super connaisseuse et surtout très attentive à vos besoins, elle sait se glisser dans votre réflexion avec tact et délicatesse.

En deux temps trois mouvements, elle réussit à trouver exactement ce qui vous convient, voir même, on peut l’affirmer, elle nous déniche les double-rideaux que nous n’aurions jamais trouvés seuls. Mais surtout, elle réalise cette prouesse tout en devisant agréablement et en témoignant un vif intérêt pour ce que vous exprimez sur la société d’aujourd’hui… Alors qu’elle commence à nous encaisser – enfin pas nous mais plutôt les rideaux pour être exacte – elle continue la conversation avec Jean-Yves, avec vivacité.

De mon côté, j’aperçois une cliente qui semble à deux doigts de défaillir derrière son masque. Je lui souris, témoignant ainsi d’un peu d’empathie à son égard. Elle me répond qu’il n’y a pas besoin de mots et que l’on s’est mutuellement comprises, ceci tout en soupirant. Je lui dis, pour la rasséréner, qu’elle va bientôt être prise en charge par la meilleure vendeuse de rideaux au monde et qui plus est, une vendeuse passionnante. Nous commençons à échanger toutes les deux. Professeure à quelques encablures de Paris, Imogène a travaillé à l’ONU dans sa jeunesse. Passionnée d’anglais, elle fait indéniablement partie de ces personnes sur lesquelles le temps n’a pas de prise, si ce n’est quelques traces d’un engagement profond, d’un combat riche, d’une réelle empathie ni calculée ni revendiquée. Elle a l’air épuisée mais sa posture trahit une personnalité riche et intéressante.

Kim a un souci avec sa caisse enregistreuse – rouleau de papier à changer – cela tombe fort bien et nous laisse le temps de deviser sur le monde d’avant, le monde d’aujourd’hui et sur celui d’après. Peu importe, la notion du temps qui passe nous échappe subitement et nous semble désormais bien futile. Nous avons, depuis quelques minutes déjà, oublié l’inconfort de nos masques et des gestes de prévention en cette période post-confinement. La conversation va maintenant bon train. Jean-Yves a glissé qu’il était infirmier, j’ai évoqué que j’étais assistante sociale, Imogène quant à elle est enseignante. Nous voilà tous les trois comme un beau trépied bien bancal du service public d’aujourd’hui. Trépied, tout à la fois essentiel et bien ébranlé dans ce monde ultra-libéral. Nous évoquons le confinement, tout ce qu’il s’est passé, tant dans le milieu hospitalier que dans celui de l’Education Nationale. Imogène, tout comme les soignants, a consacré des heures et des heures de son temps personnel, à tout mettre en œuvre pour que ses élèves ne décrochent pas dans le contexte particulier du confinement. Pour les uns comme pour les autres, nous faisons le triste constat d’avoir vécu une expérience sensiblement similaire : peu de consignes et des retournements réguliers, aux travers desquels il a fallu, malgré tout, tracer son chemin de soignant, d’enseignant… Ceci tout en prenant soin de l’autre et en essayant toujours de faire le moins de dégâts possibles.

Kim réapparait, un rouleau tout neuf à la main pour sa caisse enregistreuse, un grand sourire illumine son visage. Imogène et moi, sommes parties à rêver de nos jeunes années, celles où adolescentes, nous partions à la découverte de l’Europe avec une carte Inter rail en poche.

Nous pouvions alors, avec trois francs six sous, partir nous égayer sur les rails de l’Europe, passer un excellent séjour à Londres, découvrir avec plaisir Picadilly, Portobello Market et tant d’autres lieux qui nous rappellent la magie de cette ville anglaise. Nous y sommes presque, cela sent bon l’encens indien et, des échoppes « baba-cool » du quartier s’échappent quelques notes de musique des Rolling Stones, Deep Purple, Bob Dylan, Janis Joplin, Patti Smith ou encore Leonard Cohen. Nous redécouvrons alors le goût des Fish and Chips servis dans leur emballage en papier journal. Imogène et moi n’avons qu’un an d’écart. Elle a consacré sa vie à ses élèves et s’est débattue avec la vie. Aujourd’hui, ses rideaux ont vingt ans, ils en ont tant vu, qu’ils sont un peu au bout. C’est ce qui l’a poussée à venir faire un tour au BHV. Et voilà comment, à cet instant précis, au plein milieu du BHV, nous nous laissons emporter par nos souvenirs mutuels de cartes Inter-rail que nous achetions dès l’arrivée de l’été comme un sésame vers l’Angleterre.

Kim a réussi à imprimer le ticket, elle se consacre maintenant à Imogène et la guide d’une main de maître vers le rayon de ses rêves. Nous échangeons nos coordonnées pour…au cas où…N’est-ce pas ainsi que naissent les belles histoires au détour d’un rayon, dans les allées d’un grand magasin parisien ? N’avons-nous pas à notre insu fait un plongeon dans le passé, au temps où Zola croisait les clientes du « Bonheur des Dames »? A nos yeux, Kim est élue meilleure vendeuse du BHV. Elle a su, en quelques minutes, transformer la corvée des achats en un moment d’échanges passionnants. Ah les relations humaines, quand on sait prendre son temps, quel bonheur et quelle richesse !

Nous repartons sur les hauteurs du Quatorzième en reprenant notre tandem garé à côté de la station de métro Hôtel de Ville.

Par Nathalie

2 commentaires Ajouter un commentaire

  1. Avatar de Leycuras Leycuras dit :

    Woaw un vrai régal et un délice de lire ce récit !!j ai hâte d aller acheter des rideaux !l art de détourné ce qui est pour nous singulier en anecdote extraordinaire !le regard change tout !!juste envie de te ressembler et ainsi nager dans le bonheur de la vie quotidienne bravo belle dame !

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  2. Avatar de Amal Amal dit :

    Ha les babas cool … Quelle belle époque !

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