Julie et Matéo, la rencontre

Alors qu’elle traverse l’impressionnant hall d’entrée d’il Senatore à Castro Pretoria, Julie est hélée par le room service encore éveillé à cette heure tardive. L’esprit un peu embrumé, Julie sursaute. Il faut avouer qu’elle vient de passer une sacrée journée.

Atterrissage au petit matin à Fiumicino à quelques kilomètres de Rome et marathon depuis le début de la matinée. En fait, depuis la veille à partir de 20 h, rien ne s’était déroulé comme prévu.

Le Butler s’excuse de l’avoir surprise et découvre en s’approchant qu’elle a dû consommer un peu plus d’alcool que de raison, elle a l’air un peu pompette. D’une main il appelle l’ascenseur et de l’autre il lui remet une missive cachetée. L’enveloppe est blanche avec une petite inscription de chaque côté. Recto : Julie. Et verso : Matéo.

Matéo ? Matéo ? Se dit-elle, je ne vois pas. A moins que ce soit l’un de ces nombreux Italiens croisés au cours de la journée. Un journaliste peut-être. Ou alors l’un des animateurs d’une table ronde à laquelle elle a participé. C’est drôle, car finalement ça me dit vaguement quelque chose.

Arrivée au cinquième étage, Julie parcourt le long couloir en titubant un peu. Il est interminable mais elle parvient quand même à retrouver la chambre 512.

Elle entre : un magnifique bouquet de roses trône sur la table de l’entrée. Un petit panonceau lui souhaite la bienvenue et précise que les fleurs sont produites localement et sans pesticides. Un bon point pour la direction.

Julie pose ses affaires et s’affale sur le lit moelleux qui lui tend les bras. Mais, soudain saisie de violents maux de tête, elle se précipite dans la salle de bain pour une bonne douche froide qui, elle l’espère, lui remettra les neurones en place. Vingt minutes plus tard, alors qu’elle commence à retrouver l’usage de son cerveau, elle aperçoit l’enveloppe oubliée sur le lit.

-Matéo ! Cela me revient ! Mon charmant voisin de fauteuil dans le hall d’embarquement, hier soir.

Elle devait embarquer à 20 heures, mais l’Airbus A319 n’avait pas pu redécoller, car à l’atterrissage, un vol de canards avait endommagé un des réacteurs. Le décollage n’avait pu se faire qu’au milieu de la nuit. Julie avait pesté, s’était énervée et avait rongé son frein bien plus que les habitués de la ligne. Pour une fois qu’elle s’était autorisée à prendre l’avion pour gagner du temps, et bien c’était réussi !

C’est alors qu’elle avait fait la connaissance de Matéo, dans l’immense hall d’embarquement de Roissy, au milieu des voyageurs somnolents. Matéo était assis à côté d’elle et lui était très calme. Julie devait intervenir le lendemain, à la COP 15 de Rome, sur les incidences de la consommation excessive de viande sur le réchauffement climatique. Militante devenue experte dans ce domaine, elle était de plus en plus sollicitée pour intervenir dans les plus grands colloques européens. Mais à chaque fois, les inévitables trajets la rendait très nerveuse à cause des imprévus, aussi, contrariée par ce contre temps, elle ne pouvait s’empêcher de bougonner.

D’abord agacé, Matéo l’avait un peu observée à la dérobée. Puis, il l’avait abordée avec un flegme désarçonnant, car la moindre étincelle aurait risqué de provoquer une explosion qui aurait fait voler en éclat l’immense toit du hall. Julie avait d’abord été surprise qu’il ne soit pas lui-même agacé par la situation ainsi que par le peu d’informations données aux passagers. Mais elle avait rapidement ressenti comme un soulagement en écoutant sa voix. Affirmer qu’elle l’avait écouté est inexact mais il est incontestable que la mélodie qui sortait de ses lèvres l’avait apaisée.

Candide, Matéo avait alors continué à lui raconter toutes sortes d’histoire durant les heures de l’attente. Franc, positif, drôle, il n’avait eu de cesse de distraire cette originale et étonnante voisine de fauteuil d’attente. Sans doute se disait-il intérieurement qu’il fallait absolument qu’elle déstresse pour éviter tout incident à bord de l’avion. Matéo allait aussi à Rome et il ne souhaitait probablement pas à avoir à souffrir d’un autre retard qui aurait été dû à une passagère trop excitée.

Au cours de la conversation, Julie avait appris que lui aussi était convié à la COP 15, pour une intervention sur la santé mentale et la gestion du stress à l’heure du changement climatique, notamment chez les jeunes. Devenu professeur de Yoga dix ans auparavant, après un séjour d’une année dans un ashram indien, il avait acquis de solides connaissances et maintenant il était fréquent que les médias se tournent vers lui lorsqu’il fallait sortir un article sur le sujet.

-Bon eh bien, ma vieille Julie, il faut que tu te décides à ouvrir cette enveloppe. Il est sympa ce type et honnêtement, s’il n’avait pas réussi à te calmer, ce matin tu n’aurais jamais réussi à faire une intervention de cette qualité devant autant de chefs d’Etat. Et puis c’est grâce à lui que tu as pu rapidement trouver l’hôtel et dormir quelques heures avant d’aller à la COP.

En effet, alors qu’ils attendaient leur tour pour passer le contrôle de la douane, Matéo lui avait proposé de partager le taxi pour rejoindre Rome. Non pas pour la draguer, mais par pur souci écologique, avait-il précisé.

Se décidant enfin, Julie saisit l’enveloppe et la hume machinalement. Elle aime l’odeur qui vient à ses narines et se sent tout de suite plus légère. Elle admire l’écriture fine. Les cinq lettres de son prénom sont joliment disposées sur l’enveloppe. Elle la retourne et sourit en constatant que Matéo s’écrit aussi en cinq lettres. Songeuse, elle s’allonge en travers du lit et admire un instant la vue à travers la grande baie vitrée. La ville brille de mille feux.

Comme toutes les capitales du monde, l’animation est permanente, même au plein cœur de la nuit. Ressentant une douce chaleur, Julie va s’installer sur la terrasse, en surplomb de la cité romaine. C’est là que, le cœur maintenant palpitant, elle veut ouvrir la mystérieuse missive. Pour ne pas l’abîmer, elle la décachète délicatement. Elle en extrait doucement une petite carte sur laquelle est dessinée une fleur de lotus. En dessous, ces quelques mots :

Vous revoir :

-Une envie impérieuse ?

-Une nécessité vitale ?

-Un violent désir ?

Julie ressent un frémissement parcourir son échine. Elle lève les yeux et fixe un instant son attention sur les voitures arrêtées au feu rouge, en bas, pour calmer son cœur qui bat maintenant la chamade. Puis elle reprend la lecture.

-Depuis que je vous ai déposée devant votre hôtel, ce matin, je coche toutes les cases. Je vous attends donc ce soir pour un dîner aux chandelles à la Mezza Luna.

Le souffle court, avec la sensation d’une agréable pointe de plaisir au creux du dos, Julie lit et relit plusieurs fois cette phrase, puis passe à la suivante.

-Habituellement, j’ai horreur des gens qui s’énervent. Ils m’insupportent à un point que vous n’imaginez pas. Mais vous, vous avez quelque chose qui m’a touché en plein cœur et les quelques heures consacrées à vous apaiser ont été un vrai bonheur.

-Alors lui, il n’y va pas par quatre chemins, s’exclame Julie. Méditative, elle retourne s’allonger sur le lit pour profiter pleinement des petits frissons que lui procurent ces quelques lignes de Matéo. Pour une fois, quelqu’un la comprend vraiment, sans faire semblant. Elle a envie de relire cent fois, mille fois, un million de fois ces petits signes si soigneusement calligraphiés, donnant vie à un discours d’une acuité touchante. De petits mots harmonieusement ajustés qui emmènent Julie au bord d’un abîme si profond qu’elle pourrait en perdre toute notion du temps. Mais, la curiosité l’emporte et elle poursuit la lecture.

-J’aurai aimé que notre avion ne décolle jamais et que nous restions l’éternité côte à côte, sous cette grande verrière à contempler le ciel étoilé.

-Terriblement osé, se dit Julie. Il n’a peur de rien ce Matéo.

Elle éclate de rire : si l’avion n’avait pas fini par décoller, elle aurait fait une tête encore pire… est-ce que Mateo aurait résisté ? Peu importe, elle aime sa façon décalée de voir le monde. Rien qu’à penser à lui, son esprit s’emballe, tandis que son corps se détend grâce aux endorphines qu’elle produit à chaque fois qu’elle pose le regard sur le petit carton.

-J’aurai aimé passer des heures à vos côtés. J’ai adoré votre façon de taper du pied de rage. J’ai aussi été très touché par la force de vos convictions. Habituellement, je reste toujours parfaitement maître de mes émotions, mais là je dois me rendre à l’évidence, vous êtes plus forte que tous les grands yogis du monde. Vous m’avez rendu complètement fou. Mon esprit est totalement conquis, il ne peut plus que penser à vous en permanence. Je ne peux pas imaginer un instant que je puisse ne pas vous revoir…

 Matéo 06 14 12 12 12 ou mateo@gestion-du-stress.fr

Julie enfouit sa tête dans l’oreiller pour étouffer les rires et les sanglots qui la saisissent en alternance. Elle se lève, puis, prise de vertige, s’allonge à nouveau. Elle relit une énième fois le numéro avant de le composer religieusement sur son téléphone portable. Un premier bip retenti, elle trésaille, au bord de l’évanouissement. Deuxième bip, son cœur va-t-il exploser sous les coups des pulsations ? Troisième bip, ses poumons se vident de tout souffle quand elle reconnait la voix qui dit : « Namasté, vous êtes bien sur le répondeur de Matéo. Laissez-moi un message, je vous rappellerai… si je n’oublie pas. » Tremblante, Julie arrive à peine à susurrer ces trois mots : « Bonjour, c’est Julie. »

*****

Mateo, en position du lotus palmé, respire le plus calmement qu’il peut. Cela fait au moins dix ans qu’il n’a pas été dans cet état. Si Yogis Rachamatoutapesh le voyait ainsi… il serait mort de rire ! Comme la première fois que Mateo a tenté de se mettre en lotus devant lui…

Bip ! Mateo ressent sa température corporelle baisser de dix degrés, et un instant est incapable de bouger.

Bip ! La température remonte et dépasse maintenant les 50°, ou est donc ce foutu téléphone ?

Bip ! Un poids glacé lui tombe dans l’estomac : impossible de mettre la main sur ce… ah si, le voici. Trop tard, la messagerie s’est déclenchée. Tétanisé, Mateo ne sait plus sur quelle touche il doit appuyer… Bip bip ! Le signal qu’un message vocal est en attente d’être écouté. Mateo tourne le téléphone qu’il tenait à l’envers dans sa main et ose enfin regarder l’écran, et là il voit… qu’il faut le déverrouiller s’il veut voir quelque chose. Il tremble tellement qu’il met deux minutes à faire le bon code. Il appuie sur l’icône et là apparait : « Julie ». Mince mince mince, il cherche le numéro de la boite vocale, appuie encore, porte le téléphone à son oreille, le retourne pour le mettre dans le bon sens, et entend… rien de plus qu’un souffle. Vite il monte le volume à fond et tape 2 pour réécouter. Et là, il entend. Ses yeux s’écarquillent, sa bouche forme un « o », puis un sourire large d’une oreille à l’autre. Ses yeux se lève au plafond, et il s’écroule, inanimé, sur son tapis de yoga. Puis, d’un bond, il se lève et entame une danse frénétique dans toute la chambre d’hôtel, en hurlant à tue-tête : « elle a rappelé, elle a rappelé ! »

Par Nathalie et Jean-Yves pour l’atelier d’écriture

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2 commentaires Ajouter un commentaire

  1. Amal dit :

    Merci pour le plan drague et la photo de naomi

    J’aime

  2. Anonyme dit :

    Woaw belle histoire de quoi se mettre en éveil pour passer une belle semaine bravo à vous deux !!!!et grand merci !bel enchantement pour un lundi matin !!vive lundi prochain !!

    Aimé par 1 personne

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