En maraude dans un Paris confiné…

English version : https://nathjy.travel.blog/2020/06/24/marauding-in-a-confined-paris/

En maraude avec Wanted

Quelle étrange sensation que celle qui consiste à sortir en soirée dans un Paris devenu très silencieux. Comme si subitement, il y avait eu une débâcle ou un exode. Aller tout d’abord à ce RDV devant les Grands Voisins fermés alors qu’il y a ici tant de vie habituellement. Découvrir une, deux, trois, dix, quinze personnes qui comme toi attendent devant la porte fermée en ce temps de confinement. Faire rapidement connaissance avec Sabrina, Sachi et tant d’autres qui se sont activés toute l’après-midi pour préparer avec la plus grande attention et le plus grand soin, pas moins de 300 repas pour ceux qui n’ont même pas de lieu où rester confinés. Recevoir un masque, cousu avec amour par les couturières d’une association, pour que les maraudeurs puissent à la fois se protéger et surtout ne pas contaminer ceux à la rencontre desquels ils s’apprêtent à se diriger.

Petit masque lavable et réutilisable

Embarquer les repas, bien emballés, avec le sérieux que requiert en cette période le fait de nourrir d’autres personnes. Embarquer ensuite dans la Clio d’Hacen et traverser Paris devenu bien différent en si peu de temps. Constater que la Seine reprend peu à peu ses couleurs, que les distances sont réduites sans les embouteillages, que tous les magasins sont fermés et qu’il n’y a plus personne même sur le Boulevard St Michel. Aiguiser son regard pour voir où sont ceux qui n’ont pas de lieu où rester confinés et petit à petit entrer dans la rencontre. Découvrir que nombre de personnes à la rue ont changé de lieu d’installation. Constater que les arches vers le canal St Martin, où il y a tant de monde habituellement sont désertes. Découvrir en se faisant happer par un passant qu’ils ont migré (encore une fois) vers les rues dans lesquelles ils peuvent encore espérer rencontrer quelqu’un et trouver de quoi se nourrir. Rencontrer un homme devant une boulangerie. Entendre que les gens qui font la queue n’ont même plus de monnaie à lui donner car en temps de pandémie tout le monde paie par carte bancaire. Lui demander s’il veut manger, lui donner un repas qui le réjouit et comprendre qu’il aimerait bien avoir de quoi se laver et se changer ; « Vous comprenez, on a notre dignité ». Échanger quelques mots, un peu plus loin, sur une petite place, avec une femme bien enfouie dans son duvet. Elle se réjouit aussi du bon repas mais elle aussi souhaiterait avoir des vêtements propres. Avancer encore un peu plus loin et parler quelques minutes avec un homme qui n’est plus tout à fait en phase avec le monde. Il n’a besoin que de nourriture. Être happés dans une rue par les éboueurs qui nous indiquent où il y a des gens qui nous attendent. En chemin, rencontrer deux hommes qui sont installés dans une station-service. Ils ont faim, ont besoin de produits d’hygiène, voudrait bien du dentifrice avec la brosse à dent. Ils nous remercient d’être là pour ça et nous disent qu’ils sont toujours là. Croiser encore un passant qui nous demande si nous cherchons des gens. C’est étrange, il y a quinze jours encore, qui aurait bien pu nous demander en plein Paris, si nous cherchions des gens ?

Décidement, il y a un sentiment d’étrangeté dans cette soirée. Avancer encore un peu plus loin. Parler avec un homme qui dit n’avoir besoin de rien mais qui nous remercie quand même pour ce que vous faîtes. Il nous dit de prendre bien soin de nous. Il nous indique que deux indiens vivent devant la devanture d’un restaurant à l’abandon sur le Boulevard. Aller à leur rencontre, s’apercevoir que l’un d’eux a le visage dévoré par une blessure ou une maladie. Il demande de quoi acheter de la crème pour se soulager. Lui donner de la crème trouvée dans le kit hygiène délicatement préparé par d’autres bénévoles. Rencontrer une, deux, dix personnes jusqu’à réaliser que nous avons distribué les 50 repas que nous avions emportés. Être happés une nouvelle fois, cette fois par une jeune de Médecins du Monde qui tourne en vélo et vérifie si quelques personnes à la rue ne présentent pas de détresse respiratoire.

Parce que n’oublions pas que pendant que nous sommes confinés, nous plaignant quotidiennement d’être enfermés dans nos logements, d’autres sont toujours sur le pavé, grands oubliés de notre époque. Réaliser que nous allons nous aussi nous plaindre de ce temps de confinement tandis que d’autres n’ont même pas de lieu où aller se protéger, n’ont même plus de lieu où aller se laver, n’ont même plus de possibilité de garder des liens ni même de recharger leur si précieux téléphones portables. Remonter maintenant le Boulevard de la Villette et s’apercevoir qu’il est 20 heures quand tous les habitants se mettent aux fenêtres, qui pour applaudir les soignants, qui pour frapper leurs casseroles en signe de contestation envers nos gouvernants qui ne sont pas à la hauteur de la situation. Reprendre la voiture, traverser des quartiers habituellement débordants de vie et s’apercevoir que tout est mort alors que le printemps nous envoie ici et là des bouffées de vie à travers les arbres en fleurs. Réaliser ensemble, comme un coup de poing dans la figure, que malgré les énièmes promesses que d’ici peu il n’y aurait plus personne à la rue, la situation ne s’est pas arrangée ces derniers mois. Réaliser encore, comme un coup de poing dans l’estomac, que même en période de pandémie, on ne prend aucune mesure pour protéger ceux qui en ont sans doute le plus besoin.

Rejoindre enfin les autres maraudeurs devant la Gare d’Austerlitz, vide de voyageurs et dans laquelle résonne encore les annonces. Souhaiter un bon anniversaire à Sabrina et se dire que c’est bon d’échanger avec d’autres.

Par Nathalie

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2 commentaires Ajouter un commentaire

  1. Anonyme dit :

    Quelle épopée salutaire !

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  2. Hélène dit :

    Merci Nathalie, encore une fois pour ce beau texte, mais aussi ce partage d’expérience ☺️

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