Histoire d’une cuillère en bois, d’un anglais, d’une indienne et d’un couple de français, à Mysore – Episode I

Dédié à Stephen et Manjula.

English version : https://nathjy.travel.blog/2020/05/11/story-of-a-wooden-spoon-an-englishman-an-indian-and-a-french-couple-in-mysore/

Le jour où nous avons fait la connaissance de Stephen, Jean-Yves et moi venions de faire un très long voyage, avec une escale quelque peu retardée à Delhi. Nous avions finalement atterri en milieu d’après-midi à Bangalore, une petite mégapole de huit millions cinq cent mille habitants, située au Sud de l’Inde.

A la descente de l’avion, nous avions rendez-vous avec un sympathique chauffeur de taxi, aux cheveux colorés en roux, suivant la mode masculine indienne. Celui-ci, nous avait tout de suite reconnus et il nous avait extraits, d’une main de maître, des embouteillages mémorables de la mégapole.

Contrairement à des milliers de jeunes indiens qui, fascinés par les attraits de la ville en pointe sur les nouvelles technologies, rêvent de s’y installer, nous n’avions absolument aucune envie d’y séjourner. Nous étions plutôt attirés par les petites villes de 800 000 habitants, comme Mysore, ou par les villages du Wayanad. Après, un voyage d’une quinzaine d’heures, le premier être humain qui vous offre un lit et une tasse de thé, vous est d’emblée sympathique. Ce fût le cas de Stephen chez lequel nous avons tout de suite perçu le petit quelque chose qui nous l’a rendu encore plus sympathique.

Une fois installés grâce aux bons soins de notre hôte, celui-ci nous a indiqué une petite gargote où déguster un bon thali. Notre hôte, quant à lui, préférait profiter de ce début de soirée pour se promener avec sa fidèle compagne Lucy. Le thali fut rapidement servi, accompagné de chapatis sortis tout droit du four, et dès les premières bouchées, nous avons effectué une nouvelle plongée dans les saveurs de la cuisine indienne.

Sitôt le repas terminé, nous voici partis pour une promenade digestive à la découverte de ce charmant quartier et de ses nombreux parcs. Nous sommes tout de suite tombés sous le charme de la verdoyante Mysore, savourant les moindres instants et les moindres détails de cette nouvelle rencontre si longtemps espérée avec l’Inde. Ce pays immense, insaisissable, entre chaos et délicatesse extrême, nous fascinait à chaque coin de ses rues.

Vers 19 heures, la nuit commençant déjà à tomber, il était temps de rentrer chez Stephen. Celui-ci, installé dans son salon, un œil distrait sur la télévision, nous a tout de suite invités à nous asseoir pour échanger quelques mots. Nous nous sommes confortablement installés sur le lit qui faisait office de canapé. Stephen était en face de nous, dans le coin le plus proche de la cuisine. Lucy, quant à elle, faisait des allées et venues entre la cuisine et la chambre. Et c’est ainsi que vous nous auriez trouvé quelques heures plus tard, si vous étiez passer par là en ce 25 novembre 2019. Au fil de la soirée, nous avons échangé sur l’état du monde, sur nos lectures et notamment sur les excellents ouvrages de Naomi Klein, que nous avions dévorés avec passion. Nous avons partagé sur le sens de la vie, sur nos envies d’écrire les uns et les autres et sur nos histoires d’amour singulières. Petit à petit, nous avons fait connaissance avec Stephen et avons découvert qu’il s’est installé à Mysore en 2014, pour y créer une maison d’hôte avec le projet d’y associer une petite entreprise touristique comprenant des visites de Mysore en vélo. Il avait eu d’emblée à cœur d’y associer des indiens.

C’est ainsi qu’il a embauché Satish, à qui il a confié le management des visites en touk-touk et en vélo. Pour manager l’accueil au sein de la maison d’hôtes, il a choisi Manjela, une jeune femme d’un quartier voisin.

Une grande complicité s’est rapidement installée entre Stephen et Satish. Celle-ci perdure encore et ils s’apportent mutuellement des conseils. Leurs points de vue divergent souvent mais ils arrivent toujours à tomber d’accord. Dès le premier coup d’œil, on saisit qu’une grande amitié les lie depuis quelques années.

Avec Manjela, les choses ont été bien différentes. Bien entendu, il y a eu de la complicité entre les deux mais celle-ci a progressivement pris une toute autre forme, avec un petit quelque chose de plus que ni l’un ni l’autre ne parvenait à identifier. Ils n’osaient pas en parler, était-ce par pudeur, par réserve, par tabou ou par interdiction ?

Ce moment du récit de Stephen a été émotionnellement très fort pour nous. Nos pensées nous ont alors emportés bien loin en arrière, environ 10 ou 15 ans en arrière, nous renvoyant à notre propre histoire, quand nous nous débattions nous-mêmes dans une situation curieusement analogue. Nous avions longtemps travaillé ensemble, en étant aussi très complices, avec ce même petit quelque chose de plus que nous avions mis du temps à identifier. Nous avions mis du temps à en parler, était-ce par pudeur, par réserve, par tabou ou par interdiction ? Au fil du temps, que ce soit pour Stephen et Manjela ou pour Jean-Yves et moi, la complicité, l’estime, la confiance étaient allées grandissantes avec leur lot d’émotions, de sentiments enfouis, gardés bien secrets au plus profond de nous-mêmes pour ne pas choquer… Comme il est amusant de découvrir qu’à près de 8000 kms d’écart, nous avions été emportés dans des histoires assez similaires, des histoires tout à la fois interdites et impérieuses. A un moment, il n’avait plus été possible, ni pour les uns ni pour les autres, de faire semblant, et nous avions dû affronter nos peurs, dépasser les présupposés de la vie pour prendre une grave décision. Ce type de décision qui s’impose, comme s’impose à un plongeur resté trop longtemps en apnée, le besoin de respirer.

Stephen avait des sentiments pour Manjela, c’était indéniable, mais il ne se sentait pas autorisé à les ressentir et encore moins à les exprimer. Il craignait ainsi de tomber dans les clichés de «  l’anglais qui tombe amoureux de sa servante ». De son côté, Manjela n’imaginait même pas que le bel anglais qui l’avait embauchée, puisse ressentir la moindre émotion en la voyant. Ah si seulement… Elle se sentait pourtant de plus en plus proche de lui. Stephen n’était pas toujours facile et il fallait argumenter longtemps avant de le faire changer d’avis. Toutefois, elle avait remarqué qu’avec elle, il cédait assez vite, de plus en plus vite d’ailleurs… Elle se sentait aussi de plus en plus souvent émue lorsqu’il s’approchait d’elle ou lorsqu’il lui demandait son avis pour prendre des décisions concernant la bonne marche de la maison d’hôte.

A cette époque, les hôtes étaient plus en plus nombreux et ils les considéraient la plupart du temps comme un couple marié. Aucun ne savait ce qui se tramait vraiment entre Stephen et Manjela. Mais, à force d’être ainsi considérés par leurs hôtes, ces deux-là, de plus en plus fous amoureux , sans oser se l’avouer, avaient fini par tomber dans les bras l’un de l’autre. Ils se sont fiancés en 2015 et en ont profité pour faire un voyage en Grande-Bretagne. Manjela s’émerveillait de tout et emportait Stephen dans son sillage. Il redécouvrait son pays d’origine à travers les yeux de Manjela et cela le rendait profondément heureux. Ils avaient voyagé ici ou là et à chaque fois, Stephen était saisi, transporté par les yeux et les émotions de Manjela.

Si notre voyage en Inde avait pris fin juste après cette première soirée passée à écouter Stephen nous raconter le récit de son histoire avec Manjela, nous aurions déjà été comblés.  Émus par cette histoire d’amour, nous sommes tombés sous le charme de Stephen et Manjela. Bien que n’ayant pas encore rencontré Manjela, nous avions ressenti sa présence dans chacune des pièces, comme une touche de féminité typiquement indienne délicatement posée ça et là.

Stephen nous a aussi montré quelques uns de leurs albums photos. Je les ai particulièrement admiré, sur la photo officielle de leur mariage, dont la célébration a eu lieu selon les rites hindous, en 2018. J’ai aussi aimé la photo sur laquelle Manjela utilise pour la première fois, l’aspirateur rapporté de leur voyage de fiançailles. Jean-Yves et moi avons été touché par la photo immortalisant l’offrande qu’ils avaient faite à un ashram de personnes âgées. N’ayant pas voulu de cadeau pour leur mariage, ils avaient proposé à leurs amis de participer à cette offrande. J’ai aussi eu un coup de foudre – non pas comme Stephen pour Manjela bien entendu – pour les deux photos représentant Manjela sur une plage. Allongée sur le sable, vêtue de son saree bleu turquoise, tout son corps témoigne de son bien-être. Elle savoure cet instant magique à 200%. Nous avons aussi flashé sur la photo sur laquelle Stephen et Manjela, le regard pétillant d’amour l’un pour l’autre, sont assis paisiblement sur de vieilles marches en pierres brutes. J’ai tout de suite aimé les regards complices que l’on voit sur les photos prises lors de la cérémonie de mariage. Manjela est si belle, si exquise dans son saree bleu vif. Il y a aussi la photo sur laquelle Manjela passe un collier en fleurs au cou de Stephen, selon le rituel de mariage. Ses yeux sont si grands ouverts qu’ils auraient pu avaler son cher et tendre d’un seul regard. C’était le 1er mars 2018, si je ne me trompe. Complicité, harmonie, amour, respect sont les mots qui me viennent à l’esprit en me remémorant la découverte des photos de ces albums. S’il existait un prix Nobel des histoires d’amour, il ne fait aucun doute que Stephen et Manjela l’auraient reçu cette année-là !

Cette première soirée indienne fut longue et chargée en émotions. La découverte de Mysore en vélo, nous attendait dès le lendemain matin, aussi il était plus que temps d’aller nous glisser dans les bras de Morphée ou plutôt dans les bras de l’un des 300 millions de Dieu hindous.

Prochain épisode à propos de la fameuse cuillère en bois, à paraître prochainement.

Par Nathalie (sous le regard amoureux et exigeant de Jean-Yves).

Épisode suivant : https://nathjy.travel.blog/2020/06/08/histoire-dune-cuillere-en-bois-dun-anglais-dune-indienne-et-dun-couple-de-francais-a-mysore-2/

3 commentaires Ajouter un commentaire

  1. Avatar de Paola Paola dit :

    Une belle histoire d’amour improbable et pourtant si belle 🥰🙏🇮🇳 Merci pour ce beau récit.

    Aimé par 1 personne

  2. Avatar de Amal Amal dit :

    Haletant récit d’amour dans l’odeur des chapati merci pour cet apéritif avant la rupture (du jeûne)

    J’aime

    1. Avatar de nathindia nathindia dit :

      La suite viendra dès que possible…bonne soirée avec houmous 😉

      J’aime

Répondre à Paola Annuler la réponse.