Histoire d’une cuillère en bois, d’un anglais, d’une indienne et d’un couple de français, à Mysore – Episode II

Dédié à Stephen et Manjela

English version : https://nathjy.travel.blog/2020/06/09/story-of-a-wooden-spoon-an-englishman-an-indian-and-a-french-couple-in-mysore-episode-ii-dedicated-to-stephen-and-manjela/

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Je m’étire doucement dans le lit bien ferme, il est six heure trente et il est l’heure de se réveiller. Même si le réveil semble matinal après cette courte nuit, nous sommes tous les deux bien reposés.  Vite, vite nous découvrons les joies de la simplicité en prenant notre douche au moyen d’un baquet et d’un sceau d’eau. Il n’y a rien de plus efficace ni de plus écologique pour réduire sa consommation d’eau. La douche à peine terminée, nous partons rapidement à Sriranjapatna pour notre balade à vélo. C’est un bon moyen pour découvrir la vie locale et pour rencontrer les habitants.

Première étape, aller déguster un petit déjeuner de dosai, ces grandes crêpes du Sud de l’Inde, à base de farine de riz, chez un charmant crépier. Sa petite échoppe est très colorée et très accueillante. On s’y sent tout de suite à l’aise. Il manie ses instruments avec aisance. Pour le service, il est aidé de ses trois enfants qui s’amusent de découvrir des touristes. Ses crêpes sont de véritables dentelles, accompagnées de petites sauces à la noix de coco, le tout étant bien épicé. Elles sont servies avec un thé tchaï que nous apprécions particulièrement. Satish s’amuse de nous voir déguster les épices avec précaution. Ici, c’est aussi le RDV matinal des habitués du coin, qui viennent prendre leur petit déjeuner avant de partir au travail. Une fois, le petit déjeuner avalé, nous partons pour une virée à la découverte de l’Île, en chevauchant fièrement nos VTT rouges vifs.

Notre deuxième arrêt se fera chez un artisan fabricant de charrettes en bois. Celles-ci sont décorées de multiples scènes multicolores représentant la vie des Dieux. Elles sont toutes aussi magnifiques les unes que les autres et le jeu des couleurs est sans doute un bon moyen, mis en œuvre pour éviter les accidents, sur les routes partagées entre véhicules ultra-rapides et ultra-lents.

Dans les rues de l’ïle, c’est maintenant l’heure des offrandes. Chaque foyer a son kolam, ces charmants dessins réalisés à la farine de riz, sur le seuil de chaque porte, en signe de bienvenue et en l’honneur des Dieux. On appelle cet art populaire, très développé dans le Sud, le Rangoli. Dans ce secteur de l’île, l’habitat traditionnel est très bas, il présente de très petites ouvertures, ce qui permet de préserver la fraîcheur. Les maisons sont de couleurs vives et toutes ces peintures nous mettent de bonne humeur.

Il est temps maintenant de traverser la fameuse voie ferrée pour nous rendre de l’autre côté des ponts. Vérifier à droite, puis à gauche s’il n’y a pas de train à l’horizon, soulever le vélo, ne surtout pas se prendre les pieds dans les rails…nous passons les uns après les autres sous l’œil attentif de Stephen. Nous empruntons l’ancien pont de chemin de fer maintenant consacré aux marcheurs et aux cyclistes, nous sommes sous le charme des paysages alentour.

Stephen nous propose de faire un arrêt sur le pont qui surplombe les ghats de la rivière Kaveri. Il nous montre alors précisément le lieu où s’est déroulé la Puja de Manjela. La puja ? mais de quoi s’agit-il ? Ce sont les rituels et cérémonies d’immersion des cendres des défunts. Et oui, contre toute attente, Stephen nous a confié que Manjula est décédée en mars dernier d’une méchante maladie. Il a tenu à ce qu’elle soit inhumée selon la tradition locale. Nous nous recueillons avec lui et comprenons la force du lien qui les unit désormais. De votre côté, vous pourriez tout de suite conclure que c’est ici qu’a pris fin la très belle histoire d’amour de Stephen et Manjela. Vous seriez alors complétement dans l’erreur. Manjela imprègne le quotidien de Stephen et toutes ses actions sont prises en fonction de Manjela. C’est le sort des amours puissants et éternels. C’est ce qui explique que nous ressentions la présence de Manjela dans chacune des pièces de la maison bien que nous ne l’ayons pas encore rencontrée. Nous prenons le temps de nous imprégner des lieux dédiés aux cérémonies. Sur la rive droite, du côté gauche du pont, on découvre un vieux temple envahi par la végétation. Il a le charme des vieilles architectures abandonnées à la nature. Quelques hommes sont assis sur les marches et y pratiquent leurs ablutions. Sur la rive gauche, du côté où nous nous sommes arrêtés, c’est le lieu des Pujas, ces prières des familles qui se déroulent sous les conseils des prêtres. C’est donc ici que se sont séparées les vies charnelles de Stephen et Manjela. On sent Stephen encore sous l’émotion pendant qu’il nous dévoile cette partie de leur histoire. Nous voilà à notre tour profondément émus l’un et l’autre.

En contrebas, des femmes magnifiquement drapées dans leur saree lavent le linge et la vaisselle des rituels. C’est l’occasion pour elles de se retrouver entre femmes pour discuter un peu. Nous allons maintenant découvrir les ghats du Sri Kaveri Temple d’un peu plus près.

En chemin, nous passons près des restes du fort Tipu Sultan. Nous avons, depuis ce lieu étrange, une vue magnifique sur le pont de chemin de fer qui enjambe la rivière Kaveri. Une majestueuse locomotive, en provenance de Bengaluru, traverse la rivière, entrainant ses wagons bleus et jaunes vers Ballani. Ces trains sans fin sont vraiment très impressionnants. Chaque jour, ils traversent l’immensité de l’Inde, et transportent une multitude de voyageurs.

Nous arrivons maintenant au bord des ghats du Sri Kaveri Temple. Ici chacun vaque à ses occupations et de multiples activités se côtoient dans la plus grande indifférence. Des femmes lavent leur linge, des hommes palabrent, d’autres préparent les rituels. Des enfants jouent dans l’eau tandis que des singes, hyper agiles et à l’affût de tout, se régalent des reliefs des offrandes déposées sur les marches. Toutes sortes d’offrandes sont déposées ici chaque jour, en mémoire d’une vie, elles sont les traces d’un passage sur cette terre. La plupart des offrandes nous semblent bassement matérielles, d’autres paraissent, à nos yeux d’occidentaux, plus spirituelles, mais finalement qu’en est-il vraiment ? Elles sont variées et colorées, c’est ce qui fait aussi le charme du lieu.

En remontant des ghats, nous prenons le temps de déguster un thé tchaï au Venki Tea Stall, une toute petite échoppe de rue, installée sous des bâches, et dans laquelle les habitués savourent un thé, des biscuits, ou des samossas … Les effluves des épices nous enivrent et nous repensons chacun à  cette histoire d’amour si brève et si intense entre Stephen et Manjela. L’odeur du curry, celle de la cardamone, du tchaï, du massala nous emportent petit à petit dans les profondeurs de l’Inde et c’est un régal pour tous nos sens. Le thé fait son œuvre et nous revigore, nous sommes prêts à partir à l’assaut des rizières.

Le circuit, qui nous fait passer au cœur des rizières, est propice à la rêverie. La fin de matinée est paisible et nous sommes heureux à l’issue de cette magnifique virée d’aller prendre une pause déjeuner au Majura River View. Le curry est servi accompagné de naans. Nous profitons, en dégustant les mets, de la vue sur la rivière Kaveri. Des singes sautent de branches en branches, au-dessus de nos têtes, en poussant des cris stridents. En contrebas, la rivière s’écoule paisiblement emportant avec elle les cendres des défunts, vers l’autre rive de ce monde. Elle nous ramène à Manjela et à cette histoire d’amour interrompue dans son plus bel élan. Petit à petit, nous réalisons que nos pensées nous trompent et que Stephen et Manjela nous réservent encore de belles émotions. Trois hommes descendent paisiblement la rivière, à bord de leur coracle, ces bateaux ronds, semblables à de grandes corbeilles, tissés de matériaux naturels et recouverts de tissus à l’intérieur. Leur embarcation est légère et nous procure une sensation de paix et de confiance.

Le déjeuner terminé, après une petite sieste bien méritée, nous allons faire un tour au Devajara Market à proximité du KR Circle sur Sayyaji Rao road. Nous aimons nous plonger dans cette ambiance. Les odeurs émanent de tous les étals (fleurs, épices, fruits de toutes sortes). Ils sont si chargés et si colorés que cela nous tournent la tête. Nous rentrons alors exsangues et heureux pour dîner au Dosa Corner sur Barnu Road, tout près du magnifique quartier de Stephen. A notre retour, nous échangeons encore et encore avec lui et faisons ainsi un peu plus ample connaissance avec Manjela, l’âme de cette demeure. Elle y est toujours bien présente, il n’y a aucun doute. Il s’agit simplement d’une autre forme de présence. Stephen nous raconte les façons dont elle cuisinait excellemment bien, comment elle fleurissait le jardin, comment elle enchantait les hôtes de la guest-house. Nous découvrons une nouvelle fois comment Manjela a apprécié la vie ici à 200 %.

Le lendemain matin, au cours du petit déjeuner, Stephen me réserve une magnifique surprise en me remettant un cadeau magique et extraordinaire : la cuillère de cuisine en bois de Manjela. Quelle émotion en cet instant, nous nous regardons avec Jean-Yves et percevons l’émotion dans les yeux l’un de l’autre. C’est une merveilleuse marque d’amitié. J’avais évoqué, la veille, ma passion pour les cuillères artisanales du monde entier. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous étions allés faire un tour au Devjara Market. J’y avais déniché quelques cuillères en bambou assez fascinantes ; leurs différentes formes étant inspirées à la fois par la nature mais aussi par leur future utilisation culinaire.  Rien à voir bien entendu avec la cuillère de Manjela ! Cette cuillère qui garde les empreintes de Manjela et qui a préparé, sous sa conduite, tant et tant de mets pour leurs dîners en amoureux ou pour choyer les hôtes du Manjela’s guest-house. Voici que je reçois cette cuillère en cadeau, comme une infime marque de confiance. 

Elle trône maintenant fièrement au côté des ustensiles de cuisine, dans la petite cuisine de notre appartement  au cœur du 14 eme à Paris. Elle est grande, se tient droite comme un i dans le pot à couverts, et s’anime dès qu’on la saisit pour préparer une recette indienne à base d’épices. Ce qu’elle aime par-dessus tout, c’est la préparation des vaghars ayurvédiques. Elle s’arrange toujours pour tomber du côté de nos Massala dani (ces boîtes à épices indiennes) et on l’a voit alors toute enjouée dès que l’on manie les épices. Elle danse alors dans la poêle avec une agilité toute particulière, comme le faisait sans doute Manjela dans sa cuisine. A chaque utilisation, c’est Manjela qui s’invite chez nous.

Et c’est ainsi qu’à la suite d’une belle rencontre humaine entre deux français, un anglais et une indienne, une cuillère en bois se retrouve maintenant à l’autre bout du monde pour y enchanter la cuisine quotidienne. Nous gardons le contact avec Stephen, qui, de son côté continue de faire vivre le souvenir de Manjela, en promenant parfois ses sarees, en vélo dans Mysore. Aucun doute, leur histoire est un océan d’éternité.

Par Nathalie

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4 commentaires Ajouter un commentaire

  1. Avatar de Isabelle Ferrari Isabelle Ferrari dit :

    J’étais à Mysore en octobre 1997. Merci de m’y ramener.

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  2. Avatar de Rouleau Rouleau dit :

    Magnifique! Nous y sommes presque, on ressent bien l’âme de l’Inde et de ses habitants. Mais l’apothéose c’ le don de la cuillère par Stephen. Très émouvant! Ce sont des gestes que l’on n’oublie pas et qui restent à jamais dans nos coeurs.
    J’avoue que j’ai eu quelques larmes en le lisant et cette description donne envie de parcourir l’Inde et surtout de faire la connaissance de ces Indiens si authentiques!
    J’ai adoré!

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  3. Avatar de Amal Amal dit :

    Une belle histoire qui nous emporter loin ..
    Une autre ! Une autre !

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  4. Avatar de béatrice béatrice dit :

    Merci encore pour m’avoir fait voyager!!!!!!!!!!!!!!, fait ressentir également de belles émotions……les photos sont encore magnifiques!!!!!!!!!!!!!!!!bon , moi j’ai une seule question, non plutôt deux……..quand repartez vous en Inde ? et quand allez vous vous y installer ?😁🌺🌻🌼🌷,

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