Le bouquet de roses pourpres – Episode III – Lucie

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Fin de l’épisode précédent : C’est fou le nombre et la précision des éléments que le cerveau peut émettre en une demi seconde, et qui permettent ainsi d’élaborer une réponse qui soit à la fois juste, vraie, puissante, libératrice et finalement appropriée. Ma réponse fut donc un modèle d’équilibre, tout à la fois d’une folle audace et d’une ouverture tranquille : « Bien, et toi ? »

Julien avait à peine balbutié quelques mots qu’une vieille tante de la mariée, qui nous avait connus lorsque nous étions étudiants, s’infiltra dans notre conversation.

« Ah, dit-elle, Julien et Lucie, comme cela me fait plaisir de vous revoir. Et dire que je vous croyais séparés. C’est incroyable comme on a parfois de drôles d’idées à mon âge. A chaque fois que je pensais à vous, je me disais comme c’est dommage qu’ils ne soient plus ensemble ces deux-là, ils étaient tellement bien assortis. »

Avant qu’elle n’enchaîne sur les enfants que nous n’avions pas eu et sur le lieu de notre petit nid d’amour… on nous appela pour l’entrée dans la mairie du XIVème. Cela s’appelle être sauvés par le gong, non ?


A l’intérieur du prestigieux bâtiment, nous fûmes séparés et la cérémonie se déroula suivant la tradition.

Le dîner avait ensuite lieu au Zeyer, un restaurant au 62, rue d’Alesia qui donnait sur la place Hélène et Victor Basch. Julien était placé à la table des cousins et cousines, tandis que je me retrouvais à la table des amis d’enfance. Julien avait l’air de s’ennuyer et celui-là quand il s’ennuyait nul ne pouvait l’ignorer. J’avoue que de mon côté, une fois que j’eus échangé quelques banalités avec les autres convives de ma table, je trouvais la soirée désespérément longue. Dire que nous n’avions même pas pu échanger plus de 3 ou 4 mots. Dire que Julien était là, si près et que nous ne pouvions même pas reprendre l’ébauche de conversation que nous avions amorcée. Tout cela parce que Domitille, la mariée avait pris soin de ne pas nous mettre à la même table pour ne pas nous embarrasser.
Dès que le fromage fût servi, je retrouvais Julien au buffet des desserts. Je me souvenais de sa faiblesse pour les tiramisus. Gagné ! « Ah je vois, dis-je d’un air détaché, que tu aimes toujours le tiramisu. » « Tiens, tu te souviens de ça » demanda-t-il étonné. « Eh bien oui » répondis-je, tout en pensant «et de bien d’autres choses encore ».
Quand nous étions étudiants, il refusait souvent d’en prendre dans les restaurants (sauf en Italie) car il disait qu’ils étaient toujours moins bons que les miens. Je me sentais alors dans l’obligation de lui en faire un le week-end suivant et rien qu’à voir sa tête ces jours-là, je savais que nous n’allions pas nous ennuyer. Il esquissa un : « Tu fais toujours aussi bien les tiramisus ? »
« Oh tu sais, en Inde, je n’ai pas vraiment eu l’occasion d’en faire. » J’avais envie de lui dire que ma recette était réservée pour lui et que je n’en n’avais jamais refait. J’avais envie de lui avouer qu’à chaque fois (heureusement assez rares) que j’en voyais, j’avais alors comme un gros coup de blues ou de nostalgie. J’eus alors envie de lui écraser son tiramisu sur le nez, histoire de régler définitivement nos comptes. Domitille s’approcha et ses yeux écarquillés, en nous voyant ensemble, en disait long sur son étonnement. Heureusement, avant qu’elle n’ébauche une remarque, son mari l’appela à l’autre bout de la salle et, elle s’en alla immédiatement le rejoindre, me faisant tout de même un petit clin d’œil discret qui m’agaça quelque peu.
Ce lieu n’était décidément pas propice aux échanges de plus de 3 minutes. Alors, je ne sais ce qui me prit mais je proposais à Julien d’aller boire un verre aux « Grands Voisins » à deux pas d’ici. Je logeais pour quelques temps, chez un vieil oncle, à quelques pas de là, à l’angle de la rue Campagne Première et du Boulevard Raspail, dans un magnifique immeuble art déco, juste en face du petit square Yves Klein. Julien n’avait pas hésité plus d’un quart de seconde avant d’accepter ma proposition. Il avait englouti son tiramisu et nous nous étions discrètement éclipsés l’un après l’autre, afin de ne pas éveiller de faux soupçons à notre sujet.


Nous avions remonté l’avenue du Général Leclerc.

Nous nous étions étonnés des transformations autour des Catacombes, place Denfert Rochereau.

Nous avions contourné la place par le côté droit et avions failli nous faire bousculer par une trottinette électrique qui débouchait sans lumière du Boulevard St Jacques. Au coin du Boulevard Arago, un couple attendait devant la pharmacie.

Dans l’avenue Denfert Rochereau, quelques SDF rechargeaient les batteries de leur téléphone portable, tout en somnolant d’un œil, l’un à la prise USB d’un abribus, un autre un peu plus loin, à une prise électrique extérieure de la terrasse de la « Contre-allée », restaurant renommé.

Quelques minutes après, nous étions devant le porche du 71 avenue Denfert Rochereau, l’ancien hôpital St Vincent de Paul.

En pénétrant dans la première cour, la cour Robin, nous avions été saisi par la magie du lieu. L’ancien hôpital avait été transformé ces dernières années en lieu de vie et d’échanges. Il se passait ici toutes sortes d’événements et cela frappait d’emblée le quidam qui osait en franchir le seuil. Il y avait là une ambiance ginguette d’été qui nous a immédiatement mis à l’aise. Des guirlandes lumineuses décoraient un patio en bois réalisé dans des palettes de récupération. Une treille courait le long des tasseaux et donnait un air sauvage à ce petit coin de la cour. Des plantations ici ou là, des fleurs, des créations artistiques et éphémères, égayaient les lieux sur un fond de musique très agréable. Je ne regrettais pas mon choix. Le deuxième porche franchi, nous avons découvert d’où venait la musique. Cela provenait de la lingerie ou plutôt du bar où il fait bon prendre son temps autour d’un verre. Ici, on servait des bières locales, des jus de fruits bio et artisanaux, des limonades au gingembre ou au citron. Bref, il y avait de quoi passer un bon moment. C’était tout à fait le type de lieu insolite que nous aimions fréquenter lorsque nous étions étudiants. Cela me fit réaliser que ma vie avait pris un tout autre tournant ces dix dernières années. Julien et moi avions l’un et l’autre beaucoup de choses à nous raconter mais nous ne savions pas par où commencer. Reparler de notre dernière rencontre risquait de mettre un terme au charme de cette soirée. Ne pas l’évoquer risquait de nous orienter sur de faux-semblants dont nous avions horreur l’un comme l’autre. Nous savions tous les deux que toutes les fausses hypocrisies qu’entretenaient la plupart des gens ne menaient à rien sinon à de fausses relations qui s’étiolaient un jour ou l’autre. Je me jetais à l’eau en tentant d’exprimer avec des mots (cette fois-ci) la profonde blessure que j’avais ressentie lorsque Julien m’avait annoncé son départ pour les États-Unis il y a dix ans. Au fil de la soirée, nous avions réussi à échanger sur nos ressentis respectifs à ce sujet et avions beaucoup ri de nos méprises et de nos fausses interprétations. Le cerveau nous raconte souvent des histoires dont il faut se méfier. J’avais aussi beaucoup ri des blagues de Julien. Je trouvais cela bon de retrouver son humour qui s’était affiné avec le temps. Le temps avait filé très vite et nous avions été surpris lorsque la musique et les lumières s’étaient éteintes petit à petit. Nous étions maintenant dans la pénombre, et un serveur souriant nous avait fait remarquer que nous étions les derniers clients de la lingerie. Jetant un bref coup d’œil à la ronde, je réalisais que c’était vrai.


Julien avait alors proposé de me raccompagner jusqu’à la station de métro Raspail, située à deux pas de chez mon oncle. Nous avions marché sur le Boulevard Raspail, retrouvant ainsi une de nos vieilles habitudes d’antan.

Sur le côté droit du Boulevard, je découvris le CNC, Centre national du cinéma et de l’image. Sur les murs de façade, il y avait de grandes affiches de « l’Une chante, l’autre pas » en hommage à Agnès Varda, décédée récemment. L’air était plus frais et les grands arbres dégageaient une agréable odeur de printemps. Arrivés à la station Raspail, un homme d’âge mûr tirait les rideaux de fer en bas des grands escaliers. La station venait juste de fermer. Julien venait de rater le dernier métro.


Par Nathalie

Épisode suivant : https://nathjy.travel.blog/2020/09/27/le-bouquet-de-roses-pourpres-episode-iv-julien/

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