Le bouquet de roses pourpres – Episode IV – Julien

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L’air était plus frais et les grands arbres dégageaient une agréable odeur de printemps. Arrivés à la station Raspail, un homme d’âge mûr tirait les rideaux de fer en bas des grands escaliers. La station venait juste de fermer. Julien venait de rater le dernier métro.

Metro fermé… Mince, nous avons mis au moins deux heures pour venir des Grands Voisins ! Elle est toujours aussi prolixe et passionnée, Lucie, et moi toujours aussi bavard. Il est presque 1h30 du matin, nous sommes à deux pas de l’appartement de son oncle où elle loge, et moi à deux heures de marche de chez Fred, le copain qui m’héberge dans son studio de la rue de la Convention à Montreuil. Bon, bien finalement, n’est-ce pas une occasion unique de renouer un peu plus en profondeur ? Tout c’est si bien passé jusque-là. Elle a manifestement digéré le coup que je lui ai fait il y a dix ans. Elle a également dû comprendre un peu que son enthousiasme débordant y a été un peu pour quelque chose. Elle a dû voir, surtout elle, la toubib en Ayrouvidda – je ne me ferai jamais à ces noms étranger ! – que mon rythme n’était pas le sien, qu’elle a voulu aller trop vite, et surtout que maintenant, je suis prêt !

Je me tourne vers elle qui, pour une fois, est muette, je la regarde, lui souris. Et là, je n’ai rien compris : elle s’est approchée d’un coup, m’a pris par les épaules, m’a embrassé sur la joue, m’a dit « bon courage pour le retour », puis c’est retournée et en trois grandes enjambées elle a disparu dans l’entrée de l’immeuble de son oncle. Et là j’ai tout compris : ce ne sera pas ce soir, et j’ai deux heures de marche devant moi, car vu l’état de mes finances, hors de question de recourir à un taxi !

Par chance, la température est clémente pour une nuit de printemps. Pas de pluie en vue et pas de risque de me perdre, car depuis peu j’ai investi dans un smartphone neuf qui, contrairement à l’ancien, fonctionne parfaitement. Je rentre l’adresse de Fred et ça me dit direction rue Campagne Première… celle de l’immeuble où loge Lucie. Et si je tentais ma chance et sonnais à la porte ? Mmmh risqué ! Elle m’a bel et bien planté. Ce n’est pas qu’elle n’a pas vu et ni compris la situation, c’est qu’elle a voulu. Une épreuve ? Peut-être. Mais pourquoi ? Mesurer mon audace et mon courage pour revenir à l’assaut et ainsi mesurer mon attachement pour elle ? Ou bien au contraire mon audace et mon courage pour la laisser filer si près du but et la laisser digérer tranquillement sans brusquer les choses ? Car les femmes ont leur rythme, et si on refuse de le respecter… Bon, le message est clair, inutile de sonner, c’est la deuxième hypothèse qui doit être la bonne. Alors en avant marche vers le boulevard Montparnasse.

J’arrive  la hauteur de la station Port-Royal, toute de verre et encore magnifiquement illuminée en cette nuit de printemps. Cela me rappelle une séance de photo il y a 10 ans. Lucie venait de se payer un appareil photo de toute beauté : un reflex numérique. Cela nous avait pris deux heures avant de trouver les réglages nécessaires pour faire la photo idéale de la station illuminée. C’était le réglage du temps d’exposition qui s’était finalement révélé la bonne solution. Nous avions aussi fini vers 1 heure du matin, mais par un froid de canard, car c’était en plein hiver. Comme je logeais au Crous situé jusque derrière, cela n’avait pas été un problème. Nous nous étions vite réchauffés en buvant une infusion et… ah, souvenir, souvenir, autant ne pas trop y penser, le contraste avec ce soir est trop douloureux !

Allez, courage, j’allonge le pas, car si je veux dormir un peu cette nuit, il ne faut pas mollir. J’attaque le boulevard Port-Royal, qui est en descente et laisse l’Escurial sur ma droite, en repensant aux films que nous y avons vu ensemble : « Va, vis et deviens », je me demande si elle est toujours fascinée par les camps de tentes dans le désert. Ce film l’avait beaucoup émue, et moi j’avais bien rigolé par moment. « King Kong », celui-là, c’est moi qui avais voulu le voir, et elle avait poliment aimé. « Kingdom of Heaven », qui nous avait fait rêver tous les deux. « Blood Diamond », avec Léonardo DiCaprio. Ce qui me fait penser que je n’ai toujours pas vu « Titanic », et pourtant Dieu sait qu’elle a insisté à de nombreuses reprises, car « il est culte » ! « Ne le dis à personne », avec Cluzet, j’en tremble encore… et tant d’autres.

Perdu dans mes pensées, j’ai enfilé le boulevard St Marcel au pas de charge, et me voici dans le boulevard de l’Hôpital avec la gare d’Austerlitz à droite, et logé sous la ligne de métro n°5, l’accueil « 11 bis » du Secours Catholique où elle se rendait un matin par semaine afin de servir le petit déjeuner aux SDF de par là… enfin c’était là, car le peu de lumière des quelques lampadaires encore présents me révèle que le bâtiment est entièrement détruit. C’est vrai qu’Austerlitz est en train de se faire peau neuve. Mais les SDF ne le sont sans doute pas tant que ça, sans domicile, car une rangée de tentes subsistent encore, et il me semble voir une bande qui trinque à la 8.6, cherchant un sommeil qui ne vient plus que grâce à l’éthanol. Quel gâchis toutes ces vies perdues qui n’intéressent plus grand monde maintenant que c’est « la » crise.

Pont d’Austerlitz, la Seine noire et tranquille, et un peu plus loin, la gare de Lyon, où je suis attendu demain pour le 10h30 de Mâcon, voiture 17, place 35, pour un retour rapide vers mes salades, haricots, tomates et autres courgettes qui m’attendent certainement plus que Lucie. Tiens, voilà que je ne connais plus le nom des rues. Ce n’est plus notre coin ici. Pas de souvenirs à attacher à ces rues. Ce seront donc des rues sans nom jusqu’à celle de la Convention où je pourrais enfin m’effondrer sur le matelas prêté par Fred. Et profiter des ronflements de ce dernier… à moins que, comme il dit, « la chasse ait été bonne » et qu’il soit allé ronfler dans le lit d’une gente dame qui ne fermera pas l’œil de la nuit. Ce n’est pourtant pas manque de lui avoir dit. Tant que ce problème nasal ne sera pas résolu, aucune femme ne restera avec lui, ou alors pas plus de 3 mois, le temps de mourir d’épuisement.

Porte de l’immeuble de Fred, digicode, encore trois étages et une porte et je pourrai enfin m’étendre et dormir, avec dix kilomètres dans les pattes et une déception au moins aussi longue. Clic clac, porte franchie. Pas de Fred, ou bien il est mort, car tout est silencieux. Je vais pouvoir dormir un peu… enfin peut-être… enfin, si j’arrive à arrêter de penser à elle… bon, la journée de demain va être longue et mes salades vont encore trouver que j’ai une drôle de tête.

Par Jean-Yves

Suite : https://nathjy.travel.blog/2020/10/18/le-bouquet-de-roses-pourpres-episode-v/

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