Une enfance dans les backwaters

Assise sur la plage à côté d’une grande aigrette à l’air indifférent, Aja retrouve les sensations de son enfance dans les backwaters. Juste derrière elle, il y a un grand manguier. Elle tend la main, saisit une mangue bien mûre, la coupe en deux et déguste goulument la chair bien juteuse.

Dans le lointain, elle entend une noix de coco qui chute du haut d’un grand palmier en produisant un bruit sourd.

Des souvenirs jaillissent à mesure que ses papilles savourent le goût si particulier des mangues du Kerala. Sur la rive, de l’autre côté de l’étroite bande de terre, elle reconnait la maison dans laquelle elle a vu le jour et fait ses premiers pas. Aja a vécu ses toutes premières années ici, avant que sa famille ne décide de s’installer plus au nord.

Elle perçoit maintenant le ressac de la Mer d’Oman juste face à elle. Aujourd’hui, tout est calme, paisible et l’endroit parait vraiment idyllique. Les pêcheurs et leurs frêles esquifs viennent de rentrer de la pêche.

Patiemment, ils extraient les poissons des filets. Ils sont heureux car la pêche a été fructueuse.

La vente à la criée se déroule ensuite dans une atmosphère sympathique, avec son lot de cris, de coups de gueule et de franches rigolades.

Enfant, Aja aimait prendre le temps de regarder les bateaux colorés qui flottaient sur les eaux en partant à l’école chaque matin. Elle s’amusait à les compter, elle connaissait le nom de chacun.

Tout cela n’a rien à voir avec ce qui s’était passé dans les jours qui avaient précédé leur départ. Aja parlerait d’ailleurs d’une évacuation plutôt que d’un départ. Elle se revoit le dernier jour où il avait été possible d’aller à l’école. Elle était rentrée en courant avec son amie Nila.

Elles courraient toutes les deux protégées par une bâche de fortune.

Jeunes et insouciantes, elles ne se rendaient pas compte des risques ni du danger.

Elles s’amusaient donc à sauter à pieds joints dans les flaques.

Ce n’est qu’en arrivant devant chez leur voisin, qu’elles avaient réalisé que l’eau avait à nouveau tout envahi.

La mer grondait, envahissait tout. On ne distinguait même plus la plage.

Les pêcheurs se précipitaient en tous sens. Ils tentaient en vain de protéger les bateaux. Aja se souvient qu’au fil du temps, on ne distinguait même plus l’étroite bande de terre sur laquelle elle habitait avec ses parents, cette frêle bande de terre entre l’océan et les canaux des backwaters. La mer et les canaux avaient fini par se rejoindre pénétrant bruyamment dans toutes les maisons, entrainant tout sur leur passage. Les grands cocotiers tombaient les uns après les autres, barrant les quelques rares chemins encore praticables avant la montée des eaux.

Le vent soufflait fort, si fort que les maisons en bambou semblaient elles-mêmes tanguer sur les eaux boueuses. Aja se souvient avoir vu sa vache, tout d’abord les pieds dans l’eau puis avoir de l’eau jusqu’aux mamelles. Impossible de sortir pour aller la traire.

A un moment de légère accalmie, les secours avaient réussi à atteindre la petite bande de terre et la famille d’Aja, qui venait de vivre son énième cyclone après deux tsunami, avait décidé d’aller tenter sa chance plus au nord à l’intérieur des terres.

C’est ainsi qu’Aja, la fille de l’océan, qui avait durant toute son enfance, côtoyé chaque matin les pêcheurs et parcouru chaque jour les longues plages de sable blanc pour se rendre à l’école, s’était retrouvée…

… en plein coeur du Wayanad. Fini les longues plages et l’horizon à l’infini, elle avait désormais face à elle des montagnes qui lui barraient la vue.

Petit à petit, elle s’était fait de nouveaux amis.

Petit à petit, elle avait appris à reconnaître les différentes sortes de théiers…

à repérer les poivriers qui grimpaient le long des grands arbres.

Au fil du temps, elle avait appris à trouver ses repères au milieu de la jungle et de la végétation luxuriante.

En compagnie de sa mère, elle avait tout appris de la cueillette du thé.

Et c’est ainsi qu’elle avait appris à aimer les immenses plantations qui lui rappelaient les vagues de l’océan quand elles ondulaient sous la brise.

Fini les grandes balades le long des plages pour aller à l’école. Fini de sauter dans les flaques avec son amie Nila, elle prenait maintenant le bus jaune chaque matin pour aller à l’école du village.

Parfois, à bord du bus, depuis la route, elle distinguait un grand lac ou une rivière et cela lui remémorait ses jeunes années au bord de l’océan.

D’autres jours, elle s’amusait à jouer dans les rizières avec ses nouveaux amis. Ils étaient beaucoup plus doués qu’elle pour trouver les bonnes cachettes car ils connaissaient tout le secteur bien mieux qu’elle. Mais petit à petit, elle avait fini par être toute aussi douée qu’eux.

Au terme d’une journée riche en émotions, maintenant allongée à la terrasse d’une petite maison en bambou des backwaters, Aja est convaincue que ses racines sont bien dans ce petit coin de terre.

Par Nathalie – avec mes remerciements à Arjun et à Akhilesh pour leurs photos des jours de cyclone. On vous souhaite beaucoup de courage et on espère que tout va bientôt rentrer dans l’ordre.

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3 commentaires Ajouter un commentaire

  1. jocelynmeurice dit :

    Beau jour, ma chère Nathalie 🙂
    Je ne sais pas si je te l’ai déjà dit mais j’ai travaillé durant 10 ans avec des Indiens du Kérala ❤
    Bons baisers et toujours plus loin.

    Aimé par 1 personne

  2. voyagesfavoris dit :

    Très beau documentaire qui montre bien leur vie parfois si difficile et aussi leur courage et leur ténacité. Ils sont vraiment très attachants ces Indiens et Indiennes.

    Aimé par 2 personnes

  3. Ahmed dit :

    quel beau histoire garni d’une beau paysage

    Aimé par 2 personnes

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