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Cela fait juste 10 ans que Julien et Lucie ne se sont pas revus. Ils ont été amants sur les bancs de la Fac, ont même envisagé un jour de passer leur vie ensemble, jusqu’à ce que la vie les sépare un peu brutalement.

Lucie s’en était allée par un beau matin du mois de juin 2010, finir sa thèse en médecine Ayurvédique, à Bengaluru au Karnataka. Julien, de son côté, avait émigré aux États-Unis pour éprouver ses connaissances en management des organisations. Lucie, après avoir brillamment réussi sa thèse, avait fini par ouvrir un centre de soins ayurvédiques à Mysore, charmante petite ville indienne dans laquelle elle s’était installée.

Ils avaient gardé quelques liens épisodiques par le biais des réseaux sociaux, puis le décalage horaire aidant, Lucie et Julien avaient fini par se perdre définitivement de vue.

Pas de nouvelles aventures ni pour l’un ni pour l’autre, dans la course effrénée qu’ils avaient mené tous les deux contre le temps, se consacrant chacun à plus de 200% à leurs activités professionnelles. Pas de temps non plus pour les regrets, jusqu’à ce jour de mai, où ils avaient chacun reçu une invitation au mariage d’une amie commune.

En ce bel après-midi de juin 2020, Lucie pénètre dans le square Ferdinand Brunot face à la mairie du XIVème arrondissement.

Elle aperçoit Julien, quelques mètres plus loin, tout près de la boîte à livres. Bien que cela fasse maintenant 10 ans qu’elle a quitté la France, Lucie éprouve de suite une vive émotion en le voyant, suivie immédiatement après par une sensation de malaise.

Elle se remémore leur dernière rencontre sur le Parvis du Palais Royal. Il faisait un temps magnifique, tout comme aujourd’hui d’ailleurs. Les tilleuls parisiens mêlaient leurs effluves délicates à son parfum.

Ils avaient RDV devant la bouche de métro, du côté gauche du parvis, quand on regarde en direction du Palais Royal.

Julien avait réservé une table au Café de la Comédie pour la fin de soirée.

En l’attendant, il avait fait un tour dans les jardins du Palais Royal.

Malheureusement ce soir-là, la comédie avait tourné à la tragédie. Elle s’en souvient dans les moindres détails. La scène lui revient à l’esprit de plein fouet.

Elle arrive par les arcades de la rue de Rivoli. Elle est si heureuse qu’elle n’entend même pas les klaxons des voitures au feu rouge. Elle pense que Julien va enfin lui confirmer qu’il viendra la rejoindre à Bengalore d’ici la fin de l’été. Il faut dire que Lucie a réussi à lui dénicher un poste idéal, en tant que manager d’une des plus grandes unités de soins ayurvédiques, au Sri Sri Ayurvéda Hospital ; un hôpital de renommée internationale sur Udapayapura Road. Il aura ainsi l’occasion d’approfondir ses connaissances et ils pourront, dès que Lucie aura terminé sa thèse, s’installer où bon leur semblera dans le monde. Elle se rappelle exactement comment elle était habillée. Petite robe décolletée à fleurs, celle qui le faisait toujours craquer.

Julien en la voyant venir à sa rencontre, du côté de la boîte à livres installée dans la petite allée du Square Dunant, éprouve une sensation étrange, son cœur s’emballe. Il ressent, tout à la fois, un puissant mal-être qui le ferait, s’il le pouvait, se cacher dans la boîte à livres et un violent désir de rembobiner sa vie depuis ce RDV, de juin 2010, devant le Palais Royal.

C’était il y a 10 ans. Lucie porte toujours le même parfum et dès que les effluves de son parfum parviennent à lui, il est emporté dans le temps et se rappelle de tout parfaitement.

Lucie traverse la place du Palais Royal, elle est si resplendissante dans sa petite robe à fleurs qu’il en a le souffle coupé. Son cœur s’accélère. Waouh, quelle émotion, il est vraiment fou amoureux d’elle. Qu’est-ce qu’elle est belle! Et puis cette démarche, dès qu’elle apparait dans son paysage, il n’arrive plus à détacher son regard. Pourtant, ce soir là, il est plutôt très inquiet. Profondément mal à cause de la réaction qu’elle pourrait avoir quand il va lui annoncer qu’il n’ira pas la rejoindre cet été à Bengalore. Julien sait qu’elle y tient de tout son coeur. Il ne sait comment lui dire que son oncle Jean lui a finalement décroché un poste au Mount Sinaï Hospital de New York ? Il n’y a rien à ajouter. C’est simple, pour un début de carrière, un poste au Mount Sinaï Hospital est nettement plus prestigieux qu’un poste au Sri Sri Ayurvéda Hospital. Il s’appuie sur la rambarde de la station de métro et cherche à faire bonne figure. Lucie est tellement irrésistible avec son petit sourire en coin. Elle presse le pas, toute impatiente qu’elle est de se jeter dans ses bras. Elle s’approche et voit qu’il a même pensé à lui apporter un bouquet de roses pourpres, ses préférées. Dieu qu’il est chou ! Et si irrésistible avec son tee-shirt bleu délavé et son short aux poches mille fois trop grandes. En sillonnant au milieu des skatteurs pour le rejoindre, elle a l’impression que quelque chose ne va pas. Il a l’air plus réservé que d’habitude, mal à l’aise même quand elle se jette finalement dans ses bras. Lucie le titille, se moque, pense qu’il est triste de la voir partir. Elle ne sait pas encore qu’il ne viendra pas la rejoindre à Bengaluru. Elle s’amuse de lui et lui dit que ces deux mois sans elle seront bien vite passés. Julien dans un élan maladroit trouve enfin le courage de lui avouer qu’il n’ira pas travailler au Sri Sri Ayurvéda Hospital mais qu’il partira d’ici deux semaines à New York. Il a à peine le temps de finir ses explications, que le bouquet vole en éclats sur le parvis du Palais Royal. Lucie est tellement en colère qu’elle ramasse le bouquet et lui lance cette fois à la figure, sous le regard médusé des passants, nombreux en cette saison. Elle n’a pas de mots pour exprimer sa déception ni sa colère. Elle ne lui fera quand même pas l’honneur de pleurer devant lui, alors elle part en courant, s’engouffre dans la station de métro avant qu’il n’ai le temps de réagir et le laisse seul au milieu d’un bouquet désarticulé et de pétales de roses pourpres éparpillés sur le sol.

Par Nathalie

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